Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2912

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 372-373).

2912. — DE LOUIS-EUGÉNE,
prince de wurtemberg.
À Paris, le 2 mai.

Le porteur de cette lettre, monsieur, est un garçon auquel je m’intéresse sincèrement. Il s’appelle Fierville[1], et il est attaché à la cour de Son Altesse royale Mme  la margrave de Baireuth. C’est un très-bon acteur, et qui s’est surtout appliqué à remplir les rôles principaux de vos tragédies. Il vous a étudié avec beaucoup de soin, et il m’a demandé une lettre pour vous, que je lui ai accordée avec bien du plaisir.

Je suis dans la douleur la plus profonde. Naguère que d’Han…[2], par sa mauvaise conduite, s’est montré indigne de l’opinion que j’avais conçue de lui : je dis mauvaise conduite, pour n’en pas dire plus ; et aujourd’hui je viens de perdre un ami qui était le vôtre ; un homme dont les connaissances étaient aussi étendues, le génie aussi élevé que son âme était simple. M. de Lironcourt est mort. Je l’ai toujours regardé comme une machine merveilleuse ; toute la nature était rassemblée dans sa tête. Ô vous qui êtes sensible, jugez de mon affliction ! il est mort le moment après m’avoir rendu les plus grands services. Il laisse une famille nombreuse, sans bien, désolée, et son malheur serait affreux si elle n’était appuyée du plus noble, du plus généreux, du plus aimable des hommes. Quand je vous dirai que ce protecteur est M. le duc de Nivernais, vous cesserez de la plaindre. Oui, les soins officieux qu’il daigne prendre pour elle m’attachent à lui pour toujours. Il est digne d’être aimé de vous ; mais je finis, car la douleur et l’admiration m’empêchent également de vous en dire davantage.

Je vous aime du fond de mon cœur.


Louis-Eugène, duc De Wurtemberg.

  1. Lettre 2942.
  2. Sage, qui venait de voler la vaisselle d’argent du prince de Wurtemberg. Voyez les lettres 2928 et 2988.