Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2926

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 385-386).

2926. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au Délices attristées, 4 juin.

Mon divin ange, nos cinq actes, notre Idamé, notre Gengis, iront bien mal tant que je serai dans les angoisses de la crainte qu’on n’imprime ce malheureux vieux rogaton si défiguré, si imparfait, si tronqué, si désespérant. Je voudrais du moins que vous en eussiez un exemplaire au net, bien complet, bien corrigé, bien gai (puisqu’il fut autrefois si gai), bien honnête, ou moins malhonnête. Je voudrais que M. de Thihouville l’eût de cette façon. Je voudrais vous l’envoyer, soit par M. de Chauvelin[1], soit par quelque autre voie, telle qu’il vous plairait. Il me semble que la seule ressource est de faire un peu connaître la véritable copie, pour étouffer l’autre. Encore une fois, de deux maux il faut éviter le pire ; et le plus grand des maux est la crainte. Non, il y en a un encore plus grand, c’est de voir mes amis offensés par des rapsodies qui courent sous mon nom. Votre dernière lettre à Mme  Denis, et toutes celles que nous recevons, nous confirment le danger. Je suis réduit à souhaiter que cette plaisanterie de trente années soit connue, toute opposée qu’elle est aujourd’hui à mon âge et à ma situation. Elle n’est guère que plaisanterie, et, quand on rit, on ne trouve rien mauvais. Adieu, mon divin ange, je suis entre l’enclume et le marteau, entre la Chine et Grisbourdon ; et je me mets en tremblant sous les ailes de mes anges.

  1. Voyez la lettre 2892.