Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2982

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 434-435).

2982. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
13 août.

Mon cher ange, je ne suis pas en état de songer à une tragédie ; je suis dans les horreurs de la persécution que la canaille littéraire me fait depuis quarante ans. Vous m’aviez assurément donné un très-bon avis. Ce Grasset était venu de Paris tout exprès pour consommer son iniquité. Il n’est que trop vrai que Chévrier était très-instruit de ce maudit ouvrage et de toute cette manœuvre. Fréron n’en avait parlé dans sa feuille que pour préparer cette belle entreprise. Vous savez de quelles abominations on a farci ce poëme. On a voulu me perdre, et gagner de l’argent. Je n’y sais autre chose que de déférer moi-même tout scandale qu’on voudra mettre sous mon nom, en quelque lieu que je sois. Pour comble de douleurs, on m’apprend que Lyon est infecté d’un premier chant aussi plat que criminel, dans lequel il n’y a pas quarante vers de moi. Mon malheur veut que monsieur votre oncle[1], que je n’ai jamais offensé, ait depuis un an écrit au roi plusieurs fois contre moi, et ait même montré les réponses. Il a trop d’esprit et trop de probité pour m’imputer les misères indignes qui courent ; mais il peut, sans les avoir vues, écouter la calomnie. L’abbé Pernetti m’a écrit de Lyon qu’on me forcerait à quitter mon asile, qui m’a déjà coûté plus de quarante mille écus. Mme  Denis se meurt de douleur, et moi de la colique.

J’écris un mot[2] à Mme  de Pompadour, au sujet des cinq pagodes que vous lui faites tenir de ma part.

Je me flatte qu’elle ne trouvera rien dans la pièce qui ne plaise aux honnêtes gens, et qui ne déplaise à Crébillon. Je me flatte que, si elle l’approuve, elle sera jouée malgré le radoteur Lycophron. Adieu, mon très-cher ange, qui me consolez.

  1. Le cardinal de Tencin qui, en 1754, s’était mal conduit envers Voltaire ; voyez lettre 2818.
  2. Cette lettre manque.