Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3047

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 494).

3047. — À MADAME LA COMTESSE D’EGMONT.[1]


Aux Délices, près de Genève, 29 d’octobre 1755.


On vous lit des choses bien édifiantes, madame, dans le couvent des Carmélites. Je ne doute pas qu’elles ne servent à entretenir votre dévotion. Si vous n’êtes pas encore convaincue du pouvoir de la grâce, vous devez l’être de celui de la destinée. Elle m’a fait quitter Girey après l’avoir embelli ; elle vous a fait quitter votre terre lorsque vous en rendiez la demeure plus agréable que jamais. Elle a fait mourir Mme  du Châtelet en Lorraine. Elle m’a conduit sur les bords du lac de Genève ; elle vous a campée aux Carmélites. C’est ainsi qu’elle se joue des hommes, qui ne sont que des atomes en mouvement, soumis à la loi générale qui les éparpille dans le grand choc des événements du monde, qu’ils ne peuvent ni prévoir, ni prévenir, ni comprendre, et dont ils croient quelquefois être les maîtres. Je bénis cette destinée de ce que messieurs vos enfants sont placés. Je vous souhaite, madame, du bonheur, s’il y en a ; de la tranquillité au moins, tout insipide qu’elle est ; de la santé, qui est le vrai bien, et qui cependant est un bien très-peu senti. Conservez-moi de l’amitié. Les roues de la machine du monde sont engrenées de façon à ne me pas laisser l’espérance de vous revoir ; mais mon tendre respect pour vous sera toujours dans mon cœur.

  1. Dans toutes les éditions des Œuvres de Voltaire, cette lettre a, jusqu’à ce jour (janvier 1832), été mise à la date du 23 août, et adressée à Mme  la comtesse de La Neuville. M. Clogenson en possède une copie datée du 8 mars 1756, et à l’adresse de Mme la marquise de La Vieuville. Grimm la rapporte, dans sa Correspondance littéraire, au mois d’octobre 1755, et comme adressée à Mme  de Montrevel. Mais Luchet, qui, la croyant inédite, la donne dans le tome 1er  de ses Mémoires pour servir à l’histoire de l’année 1789 (quatre volumes in-8o), nomme Mme  la comtesse d’Egmont.
    Angélique-Amable, petite-fille du maréchal de Villars, née à Paris le 19 mars 1723, mariée, le 5 février 1744 à Guy-Félix d’Egmont-Pignatelli, comte d’Egmont, prince de Gavres, veuve le 3 juillet 1753, prit l’habit des filles de la maison du Calvaire de la Compassion, ordre de Saint-Benoît, le 18 juin 1754, sous le nom d’Amable-Angélique-Marie-Thérèse du bon pasteur de Villars, et le 20 juin 1755 prononça ses vœux, en présence de l’abbé Grizel (voyez tome XXIV, page 239 ; et, tome VIII, les Stances à Saurin), qui l’avait convertie en lui volant 50 à 60, 000 livres. (B.)