Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3051

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 498-499).

3051. — DE M. DE SAINT-SAUVEUR.
Ministre du roi à la haye.
À M. Berryer.


Amsterdam, 6 novembre 1755.

Voici enfin le poëme de la Pucelle d’Orléans, non celui que l’on prétend que L. B. fait imprimer, mais celui que le sieur Marc-Michel Rey annonce dans son Journal des savants du mois d’octobre, ainsi que vous le verrez par le cahier détaché que je joins ici, et que l’on croit imprimé à Francfort, (quoique supposé à Louvain. Je suis sûr que c’est le premier exemplaire qui a été distribué ici, et je me félicite d’être venu à bout de me le procurer, par le désir extrême que j’avais de vous satisfaire sur cet article.

Si, comme on me l’a encore assuré ce matin, L. B. en fait une édition, il doit être très-mortifié pour son intérêt d’avoir été prévenu ; mais, comme ennemi de V., il doit être bien content de voir, par la publicité de cet ouvrage, son auteur devenir encore plus odieux. Voilà du moins comme il doit penser, puisque ç’a dû être le premier mobile de l’idée qui lui est venue de faire imprimer cet ouvrage.

Mais il serait bien singulier que ce fût V. lui-même qui eût fait faire cette première édition à la hâte[1], sur l’avis secret qu’il aurait eu de celle que L. B. prépare, pour le frustrer par là du bénéfice que L. B. attend de son édition, et plus singulier encore qu’il eût tronqué ou mitigé l’édition qui paraît, à dessein de préparer le désaveu de celle à laquelle L. B. travaille, soit dans la crainte que cette pièce ne paraisse trop grave, si elle est rendue fidèlement d’après le manuscrit, soit par l’appréhension qu’il a que L. B. n’y ajoute du sien pour rendre l’ouvrage encore plus odieux. Ce qui m’induisait à le croire ainsi (et je ne suis pas le seul) est que quelqu’un qui prétend avoir connaissance de l’ouvrage que L. B. fait imprimer, et qu’il n’a point voulu nommer, a dit à mon libraire que cet ouvrage est beaucoup plus impie que L’Épitre à Uranie ; il a ajouté que cet ouvrage devait avoir sept feuilles d’impression, de 24 pages chacune, dont il ne sera absolument distribué ici aucun exemplaire, L. B. voulant les faire passer tous en pays étranger, et quelques-uns même par la poste, à la faveur de la politesse du format. Mon homme m’a répété, à cette occasion, qu’il ne s’est point trompé, et qu’il est sûr d’avoir vu sur la table de L. B. des épreuves d’un ouvrage en vers, du format d’une lettre ployée en quatre ou à peu près, sur lesquelles il est certain d’avoir lu Poème de la Pucelle d’Orléans en toutes lettres, et au haut des pages, chant, etc. ; et que L. B. les avait couvertes sur-le-champ de divers papiers. Peu de temps achèvera de nous instruire sur cela, car je ne perdrai point de vue l’édition de L. B., et je ferai tout au monde pour m’en procurer, à quelque prix, un exemplaire pour vous.

J’ai l’honneur d’être avec le dévouement le plus parfait et l’attachement le plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

De Saint-Sauveur.

Nota. Le poëme est de 5, 564 vers. J’ai eu la curiosité de les compter.


  1. La quantité de fautes dont elle est remplie semble annoncer la précipitation avec laquelle elle a été exécutée. (Note de Saint-Sauveur.)