Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3188

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 58-59).

3188. — À M. DUPONT.
Aux Délices, près de Genève, 20 (juin) 1756[1].

Je vous avais envoyé, mon cher ami, deux petits ouvrages assez tristes et assez conformes à l’état où doit être votre âme après la perte d’un jeune homme de si grande espérance, à qui vous étiez tendrement attaché[2]. Vous devez avoir reçu mes jérémiades, et vous devez sentir que le Tout est bien de Pope n’est qu’une plaisanterie qu’il n’est pas bon de faire aux malheureux. Or, sur cent hommes, il y en a au moins quatre-vingt-dix qui sont à plaindre. Tout est bien n’est donc pas fait pour le genre humain. Je suis honteux de dater ma lettre des Délices en écrivant à M. de Klinglin. Mais enfin il faut bien que j’aie un port après avoir essuyé tant d’orages. Je suis très-aise d’être loin des jésuites et des médecins de Colmar. Ces charlatans-là nuisent au corps et à l’âme. Nous avons à présent un vrai médecin[3] qui est allé de Genève à Paris apprendre aux Français à préserver leurs enfants de la petite vérole en la leur donnant. Ce ne sont pas là des exemples à remettre devant les yeux de monsieur le premier président : ils redoubleraient trop sa douleur.

Si le Port-Mahon n’est pas pris quand vous recevrez ma lettre, il ne le sera jamais. Mme Denis et moi, nous vous assurons, vous et Mme Dupont, de la plus tendre amitié.

Voltaire.

  1. Placée par le premier éditeur et par Beuchot au 20 août, cette lettre, antérieure à la prise de Port-Mahon, ne peut être que du 20 juin au plus tard.
  2. Le second fils de M. de Klinglin, attaqué d’une paralysie depuis longtemps.
  3. Le docteur Tronchin.