Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3201
Mon héros et celui de la France, en vertu du petit billet[1] dont vous daignâtes m’honorer après votre bel assaut, j’eus l’honneur de vous dire tout ce que j’en pense, et de vous écrire à Compiègne. Vous allez être assassiné de poëmes et d’odes. Un jésuite de Mâcon, un abbé de Dijon, un bel esprit de Toulouse, m’en ont déjà envoyé. Je suis le bureau d’adresses de vos triomphes. On s’adresse à moi comme au vieux secrétaire de votre gloire.
Ce qui me fait le plus de plaisir, c’est une Histoire de la révolution de Gênes, très-sagement écrite et très-exacte, qui paraît depuis peu en italien. On m’en a apporté la traduction en français ; on vous y rend toute la justice qui vous est du[2]. Je vais incessamment la faire imprimer. J’avoue qu’il y a un peu d’amour-propre à moi de voir que l’Europe vous regarde des mêmes yeux que je vous ai vu depuis plus de vingt ans ; mais, en vérité, il y a cent fois plus d’attachement que de vanité dans mon fait.
On dit que M. le duc de Fronsac[3] était fait comme un homme qui vient d’un assaut, quand il a porté la nouvelle. Il était, avec les grâces qu’il tient de vous, orné de toutes celles d’un brûleur de maisons. Il tient cela de vous encore. Demandez à votre écuyer si vous n’aviez pas votre chapeau en clabaud, et si vous n’étiez pas noir comme un diable, et poudreux comme un courrier, à la bataille de Fontenoy.
Je vous importune ; pardonnez au bavard.