Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3218

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 86-87).

3218. — À M. LE COMTE DE TRESSAN.
Aux Délices, 18 août.

Vous êtes donc comme messieurs vos parents, que j’ai eu l’honneur de connaître très-gourmands ; vous en avez été malade. Je suis pénétré, monsieur, de votre souvenir ; je m’intéresse à votre santé, à vos plaisirs, à votre gloire, à tout ce qui vous touche. Je prends la liberté de vous ennuyer de tout mon cœur.

Vous avez vraiment fait une œuvre pie de continuer les aventures de Jeanne, et je serais charmé de voir un si saint ouvrage de votre façon. Pour moi, qui suis dans un état à ne plus toucher aux pucelles, je serai enchanté qu’un homme aussi fait pour elles que vous l’êtes daigne faire ce que je ne veux plus tenter.

Tâchez de me faire tenir, comme vous pourrez, cette honnête besogne, qui adoucira ma cacochyme vieillesse. Je n’ai pas eu la force d’aller à Plombières : cela n’est bon que pour les gens qui se portent bien, ou pour les demi-malades.

J’ai actuellement chez moi M. d’Alembert, votre ami, et très-digne de l’être. Je voudrais bien que vous fissiez quelque jour le même honneur à mes petites Délices, Vous êtes assez philosophe pour ne pas dédaigner mon ermitage.

Je vous crois plus que jamais sur les Anglais ; mais je ne peux comprendre comment ces dogues-là, qui, dites-vous, se battirent si bien à Ettingen[1], vinrent pourtant à bout de vous battre. Il est vrai que depuis ce temps-là vous le leur avez bien rendu. Il faut que chacun ait son tour dans ce monde.

Pour l’Académie françoise ou française, et les autres académies, je ne sais quand ce sera leur tour. Vous ferez toujours bien de l’honneur à celles dont vous serez. Quelle est la société qui ne cherchera pas à posséder celui qui fait le charme de la société ? Dieu donne longue vie au roi de Pologne ! Dieu vous le conserve, ce bon prince qui passe sa journée à faire du bien, et qui Dieu merci, n’a que cela à faire ! Je vous supplie de me mettre à ses pieds. Je veux faire mon petit bâtiment chinois à son honneur, dans un petit jardin ; je ferai un bois, un petit Chaudeu grand comme la main, et je le lui dédierai.

Mlle Clairon est à Lyon ; elle joue comme un ange des Idamé, des Mérope, des Zaïre, des Alzire. Cependant je ne vais point la voir. Si je faisais des voyages, ce serait pour vous, pour avoir la consolation de rendre mes respects à Mme de Boufflers, et à ceux qui daignent se souvenir de moi. Vous jugez bien que si je renonce à la Lorraine, je renonce aussi à Paris, où je pourrais aller comme à Genève, mais qui n’est pas fait pour un vieux malade planteur de choux.

Comptez toujours sur les regrets et le très-tendre attachement de V.

  1. Dettingen, le 27 juin 1743. Voyez tome XV, page 214 et suiv.