Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3217

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 85-86).

3217. — À M.  THIERIOT.
Aux Délices. 9 août.

Mon cher et ancien ami, je ne sais ce que c’est que cette Critique dévote dont vous me parlez[1]. Est-ce une critique imprimée ? est-ce seulement un cri des âmes tendres et timorées ? Vous me feriez plaisir de me mettre au fait. Je m’unis, à tout hasard, aux sentiments des saints, sans savoir ni ce qu’ils disent ni ce qu’ils pensent.

On me mande qu’on a défendu à l’évêque de Troyes[2] d’imprimer des mandements ; c’est défendre à la comtesse de Pimbesche[3] de plaider.

Est-il vrai qu’on joue Sémiramis ? que l’ombre n’est pas ridicule, et que les bras de Lekain[4] ne sont pas mal ensanglantés ? Vous ne savez rien de ces bagatelles ; vous négligez le théâtre ; vous n’aimez que les anecdotes, et vous ne m’en dites point.

Je ne sais guère de nouvelles de Suède. J’ai peur que ma divine Ulrique ne soit traitée par son sénat avec moins de respect et de sentiment qu’on n’en doit à son rang, à son esprit, et à ses grâces.

Vous saurez que l’impératrice-reine[5] m’a fait dire des choses très-obligeantes. Je suis pénétré d’une respectueuse reconnaissance. J’adore de loin ; je n’irai point à Vienne ; je me trouve trop bien de ma retraite des Délices. Heureux qui vit chez soi avec ses nièces, ses livres, ses jardins, ses vignes, ses chevaux, ses vaches, son aigle, son renard, et ses lapins, qui se passent la patte sur le nez ! J’ai de tout cela, et les Alpes par-dessus, qui font un effet admirable. J’aime mieux gronder mes jardiniers que de faire ma cour aux rois.

J’attends l’encyclopède d’Alembert, avec son imagination et sa philosophie. Je voudrais bien que vous en fissiez autant, mais vous en êtes incapable.

Est-il vrai que Plutus-Apollon-Popelinière a doublé la pension de madame son épouse[6] ? Tronchin prétend qu’elle a toujours quelque chose au sein ; je crois aussi qu’elle a quelque chose sur le cœur. Je vous prie de lui présenter mes hommages, si elle est femme à les recevoir.

C’est grand dommage qu’on n’imprime pas les mémoires de ce fou d’évêque Cosnac !

Pour Dieu, envoyez-moi, signé Janne[7] ou Bouret, tout ce qu’on aura écrit pour ou contre les Mémoires de Scarron-Maintenon.

Intérim vale et scribe. Æger sum, sed tuus.

  1. Voyez lettre 3203.
  2. Mathias Poncet de La Rivière.
  3. Personnage des Plaideurs de Racine.
  4. Voyez lettre 3214.
  5. Marie-Thérèse.
  6. Cette première femme de La Popelinière mourut d’un cancer au sein vers le commencement de novembre 1756.
  7. Intendant général des postes, qui violait le secret des lettres et en communiquait des extraits à Louix XV : aussi fit-il bientôt chevalier de l’ordre du roi (Cl.)