Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3224
Dites-moi donc, madame, vous qui êtes sur les bords du Rhin, si notre chère Marie-Thérèse, impératrice-reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre sa Silésie. Voilà un beau moment, et si elle le manque, elle n’y reviendra plus. Ne seriez-vous pas bien aise de voir deux femmes, deux impératrices[1], peloter un peu notre grand roi de Prusse, notre Salomon du Nord ? Pour moi, dans ma douce retraite, au bord de mon lac, je ne sais aucune nouvelle ; je n’apprends rien que par les gazettes. Elles me disent qu’on coupe des têtes[2] en Suède ; mais elles ne me disent rien de cette reine Ulrique que j’ai vue si belle, pour qui j’ai fait autrefois des vers, et qui, sans vanité, en a fait aussi pour moi[3]. Je suis très-fâché qu’elle se soit brouillée si sérieusement avec son parlement. Le nôtre fait, dit-on, des remontrances pour une taxe sur les cartes, et brûle des mandements d’évêque. On vous envoie dans votre Alsace un confesseur, un martyr[4] de la constitution, que j’ai vu quelque temps fort amoureux, et dont sa maîtresse était aussi mécontente que ses créanciers. Les saints sont d’étranges gens.
Portez-vous bien, madame ; faites du feu dès le mois de septembre. Traitez le climat du Rhin comme je traite celui du lac. Vivez avec une amie charmante. Souvenez-vous quelquefois de moi. Mme Denis et moi, nous vous présentons nos respects. Il est triste pour nous que ce soit de si loin.
- ↑ Celle de Russie (Elisabeth) était récemment intervenue dans l’alliance de l’Autriche et de la France.
- ↑ Voyez plus haut, lettre 3214.
- ↑ Voyez tome XXXVII, page 88.
- ↑ Poncet de La Rivière, évêque de Troyes, avait été exilé à l’abbaye de Meurbarck, dans le fond de l’Alsace.