Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3224

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 102).

3224. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 23 août.

Dites-moi donc, madame, vous qui êtes sur les bords du Rhin, si notre chère Marie-Thérèse, impératrice-reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre sa Silésie. Voilà un beau moment, et si elle le manque, elle n’y reviendra plus. Ne seriez-vous pas bien aise de voir deux femmes, deux impératrices[1], peloter un peu notre grand roi de Prusse, notre Salomon du Nord ? Pour moi, dans ma douce retraite, au bord de mon lac, je ne sais aucune nouvelle ; je n’apprends rien que par les gazettes. Elles me disent qu’on coupe des têtes[2] en Suède ; mais elles ne me disent rien de cette reine Ulrique que j’ai vue si belle, pour qui j’ai fait autrefois des vers, et qui, sans vanité, en a fait aussi pour moi[3]. Je suis très-fâché qu’elle se soit brouillée si sérieusement avec son parlement. Le nôtre fait, dit-on, des remontrances pour une taxe sur les cartes, et brûle des mandements d’évêque. On vous envoie dans votre Alsace un confesseur, un martyr[4] de la constitution, que j’ai vu quelque temps fort amoureux, et dont sa maîtresse était aussi mécontente que ses créanciers. Les saints sont d’étranges gens.

Portez-vous bien, madame ; faites du feu dès le mois de septembre. Traitez le climat du Rhin comme je traite celui du lac. Vivez avec une amie charmante. Souvenez-vous quelquefois de moi. Mme  Denis et moi, nous vous présentons nos respects. Il est triste pour nous que ce soit de si loin.

  1. Celle de Russie (Elisabeth) était récemment intervenue dans l’alliance de l’Autriche et de la France.
  2. Voyez plus haut, lettre 3214.
  3. Voyez tome XXXVII, page 88.
  4. Poncet de La Rivière, évêque de Troyes, avait été exilé à l’abbaye de Meurbarck, dans le fond de l’Alsace.