Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3271

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 140-141).

3271. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 14 décembre.

Madame, le jeune gentilhomme anglais nommé M.  Keat, qui aura l’honneur de rendre cette lettre à Votre Altesse sérénissime, me fait crever de jalousie. Ce n’est pas que son mérite, qui n’inspire que des sentiments agréables, fasse naître en moi la triste passion de l’envie ; mais il a le bonheur de voir et d’entendre Votre Altesse sérénissime. Ce bonheur m’est refusé ; il y a là de quoi mourir de douleur. Il peut du moins rendre bon témoignage de mon chagrin ; il peut dire si je regrette autre chose dans le monde que le séjour de Gotha.

Il arrivera peut-être dans le temps qu’on donnera quelque bataille, qu’on prendra quelque ville dans le voisinage de vos États. Mais il verra dans la cour de Votre Altesse sérénissime ce qu’il aime : la paix, la concorde, l’union, la douceur d’une vie égale, espèce de félicité qu’on trouve rarement dans les cours, félicité que vous donnez, madame, et que vous goûtez.

Puisse l’année 1757 être aussi heureuse pour elle et pour toute son auguste famille qu’elle commence malheureusement pour ses voisins ! Je me mets à ses pieds pour cette année et pour toutes celles de ma vie.

Je serai toujours, avec l’attachement le plus inviolable et le plus profond respect, madame, de Votre Altesse sérénissime le très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Editeurs, Bavoux et François.