Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3270

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 139-140).

3270. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 13 décembre.

Vous avez, mon cher et illustre maître, très-grande raison sur l’article Femme[1] et autres ; mais ces articles ne sont pas de mon bail : ils n’entrent point dans la partie mathématique, dont je suis chargé, et je dois d’ailleurs à mon collègue la justice de dire qu’il n’est pas toujours le maître ni de rejeter ni d’élaguer les articles qu’on lui présente. Cependant le cri public nous autorise à nous rendre sévères, et à passer dorénavant par-dessus toute autre considération ; et je crois pouvoir vous promettre que le septième volume n’aura pas de pareils reproches à essuyer.

J’ai reçu les articles que vous m’avez envoyés, dont je vous remercie de tout mon cœur. Je vous ferai parvenir incessament l’article Histoire contresigné. Nos libraires vous prient de vouloir bien leur adresser dorénavant vos paquets sous l’enveloppe de M. de Malesherbes, afin de leur en épargner le port, qui est assez considérable. Quelqu’un s’est chargé du mot Idée. Nous vous demandons l’article Imagination ; qui peut mieux s’en acquitter que vous ? Vous pouvez dire comme M. Guillaume[2] : Je le prouve par mon drap.

Le roi tient actuellement son lit de justice pour cette belle affaire du parlement et du clergé ;


Et l’Eglise triomphe ou fuit en ce moment[3].


Tout Paris est dans l’attente de ce grand événement, qui me paraît à moi bien petit en comparaison des grandes affaires de l’Europe. Les prêtres et les robins aux prises pour les sacrements vis-à-vis[4] les grands intérêts qui vont se traiter au parlement d’Angleterre, vis-à-vis la guerre de Bohême et de Saxe, tout cela me paraît des coqs qui se battent vis-à-vis des armées en présence.

Personne ne croit ici que les vers contre le roi de Prusse[5] soient votre ouvrage, excepté les gens qui ont absolument résolu de croire que ces vers sont de vous, quand même ils seraient d’eux. J’ai vu aussi cette petite édition de la Pucelle ; on prétend qu’elle est de l’auteur[6] du Testament politique d’Albéroni ; mais, comme on sait que cet auteur est votre ennemi, il me paraît que cela ne fait pas grand effet. D’ailleurs les exemplaires en sont fort rares ici, et cela mourra, selon toutes les apparences, en naissant. Je vous exhorte cependant là-dessus au désaveu[7] le plus authentique, et je crois que le meilleur est de donner enfin vous-même une édition de la Pucelle que vous puissiez avouer. Adieu, mon cher et illustre maître ; nous vous demandons toujours pour notre ouvrage vos secours et votre indulgence.

Mon collègue vous fait un million de compliments. Permettez que Mme Denis trouve ici les assurances de mon respect. Vous recevrez, au commencement de l’année prochaine, l’Encyclopédie. Quelques circonstances, qui ont obligé à réimprimer une partie du troisième volume, sont cause que vous ne l’avez pas dès à présent. Iterum vale, et nos ama.

  1. Voyez les lettres 3259 et 3266.
  2. Dans l’Avocat Patelin, comédie de Brueys, acte III, scène ii.
  3. Bajazet, acte I, scène ii.
  4. C’est par ironie que ce mot est employé ici ; voyez tome V, page 413.
  5. Voyez lettre 3256.
  6. Maubert de Gouvost.
  7. Voyez les lettres 3276 et 3340.