Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3278

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 147-148).

3278. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 27 décembre.

Je ne conçois rien, madame, à l’aventure de la lettre du 3 novembre dont vous me faites l’honneur de me parler ; mais aussi je n’entends pas davantage toutes les aventures de ce bas monde. Évêques, parlements, Saxons, Prussiens, Autrichiens, Russes, tout cela me confond. Il y a douze mille ouvriers à Lyon qui mendient leur pain, parce que le roi de Prusse a dérangé le commerce de Leipsick ; et ce monarque prétend que Leipsick lui a beaucoup d’obligation. La famine menace la Saxe et la Bohème. Laissons les hommes faire leur commun malheur, et jouissons de notre heureuse tranquillité, vous à l’île Jard, et moi aux Délices. Je ne me plains que d’être trop loin de vous. Ne croyons rien de tout ce qu’on nous dit. Il est vrai qu’un misérable s’est avisé de faire une édition infâme d’une Pucelle ; mais il n’est pas vrai que je dusse retourner en France. Dieu me préserve de quitter la retraite charmante que je me suis faite, et qui mérite son nom de Délices ! Quand on s’est fait à notre âge, madame, une retraite agréable, il faut en jouir ; c’est le parti sage que vous avez pris, et dans lequel il faut persister.

Permettez-moi de présenter mes respects à monsieur le premier président d’Alsace et à Mme  de klinglin, et surtout à monsieur votre fils. Attendons patiemment l’issue des troubles d’Allemagne. Laissons les gens oisifs écrire au nom du cardinal de Richelieu. Ce monde est un orage ; sauve qui peut.

Mme  Denis vous souhaite des années de santé et de tranquillité en nombre ; nous en faisons autant pour Mme  de Brumath. Nous n’oublions pas Marie[1] ; mais nous craignons que les Prussiens ne troublent la maison archiducale. Adieu, madame ; conservez vos bontés au bon Suisse V.

  1. L’impératrice Marie-Therèse.