Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3318

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 177-178).

3318. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
À Monrion, 19 février.

Qu’est-ce que c’est donc, ma chère nièce, qu’une petite secte de la canaille, nommée la secte des margouillistes, nom qu’on devrait donner à toutes les sectes ? On dit que ces misérables lunatiques, nés des convulsionnaires, et petits-fils des jansénistes sont ceux qui ont mis, non pas le couteau, mais le canif à la main de ce monstre insensé de Damiens ; que ce sont eux qui envoient du poison au dauphin dans une lettre, et qui affichent des placards : le tout pour la plus grande gloire de Dieu. Les honnêtes gens, par parenthèse, devraient me remercier d’avoir tant crié toute ma vie contre le fanatisme ; mais les cours sont quelquefois ingrates.

Vous savez les coquetteries que me fait le roi de Prusse et que la czarine m’appelle à Pétersbourg. Vous savez aussi qu’aucune cour ne me tente plus, et que je dois préférer la solidité de mon bonheur dans ma retraite à toutes les illusions. Si j’en voulais sortir, ce ne serait que pour vous ; ma santé exige de la solitude ; je m’affaiblis tous les jours.

J’ai fait un effort pour jouer Lusignan ; votre sœur a été admirable dans Zaïre ; nous avions un très-beau et très-bon Orosmane, un Nérestan excellent, un joli théâtre, une assemblée qui fondait en larmes ; et c’est en Suisse que tout cela se trouve tandis que vous avez à Paris des margouillistes. Je vous ai bien regrettée ; mais c’est ce qui m’arrive tous les jours.

Ayez grand soin de votre malheureuse santé ; conservez-vous aimez-moi. Mille tendres compliments à fils, à frère, à secrétaire[1]. Adieu, ma très-chère nièce ; votre sœur ne vous écrit point aujourd’hui : elle apprend un rôle. Nous ne vous parlons que de plaisir : instruisez-nous des sottises de Paris.

  1. Le marquis de Florian, qui épousa M. de Fontaine en 1762.