Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3319

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 178).

3319. — À M.  LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.
19 février.

Oui, sans doute, mon héros, le secreétaire d’État de la république de Platon[1] aurait ri et dit quelques bons mots, car il en disait ; mais tâchez de n’en pas dire.

Votre lettre sur ce pauvre amiral Byng lui a valu du moins quatre voix favorables, quoique la pluralité l’ait condamné à la mort[2]. Il se passe dans tous les États des scènes singulières, et aucune ne vous surprend.

Je vous attends toujours, ou dans le conseil, ou à la tête d’une armée. Si les services et la capacité donnent les places sous un monarque éclairé, vous avez assurément plus de droits que personne. Mais quelque place que vous ajoutiez à celles que vous occupez, il y en a une que les rois ne peuvent ni donner ni ôter, c’est celle de la gloire. Jouissez de ce beau poste, il est à l’abri de la fortune.

Je vous assure, monseigneur, que vous prêchez à un converti quand vous me conseillez de ne me rendre ni aux coquetteries du roi de Prusse ni aux bontés de l’impératrice de Russie. Je préfère ma retraite à tout, et cette retraite est d’ailleurs absolument nécessaire à un malade qui tient à peine à la vie.

Permettez que je vous envoie ce qu’on m’écrit sur Lekain. S’il a tant de talents, s’il sert bien, est-il juste qu’il n’ait pas de quoi vivre, quand les plus mauvais acteurs ont une part entière ? C’est là l’image de ce monde. Puisque vous daignez descendre à ces petits objets, mettez-y la justice de votre cœur, et protégez les talents.

Mme  Denis et le Suisse Voltaire vous présentent leurs plus tendres respects.

  1. Le marquis d’Argenson ; voyez la lettre du 4 février.
  2. Voyez tome XV, page 340, où, dans la note i, il faut lire 1757 (au lieu de 1747).