Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3325

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 181-182).

3325. — À M.  DIDEROT[1].
À Monrion, pays de Vaud, 28 février.

L’ouvrage[2] que vous m’avez envoyé, monsieur, ressemble à son auteur : il me paraît plein de vertus, de sensibilité et de philosophie. Je pense, comme vous, qu’il y aurait beaucoup à réformer au théâtre de Paris. Mais tant que les petits-maîtres se mêleront sur la scène avec les acteurs, il n’y a rien à espérer. Le plus impertinent de tous les abus, c’est l’excommunication et l’infamie attachée au talent de débiter en public des sentiments vertueux. Cette contradiction irrite ; mais c’est encore une de nos moindres sottises.

J’oublie avec plaisir dans ma retraite tous ceux qui travaillent à rendre les hommes malheureux ou à les abrutir, et plus j’oublie ces ennemis du genre humain, plus je me souviens de vous. Je vous exhorte à répandre, autant que vous le pourrez, dans l’Encyclopédie, la noble liberté de votre âme. On ne mettait point Cicéron dans le donjon de Vincennes[3] pour son livre de Natura deorum. Notre siècle est encore bien barbare. Vale et scribe. Tuus V.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le Fils naturel, drame.
  3. Allusion à l’emprisonnement de Diderot.