Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3354

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 206-207).

3354. — À M.  LÉVESQUE DE BURIGNY.
Aux Délices, 10 mai.

Je ne puis trop vous remercier, monsieur, de votre présent. Vous vous associez à la gloire d’Érasme et de Grotius, en écrivant si bien leur histoire. On lira plus ce que vous dites d’eux que leurs ouvrages. Il y a mille anecdotes dans ces deux Vies, qui sont bien précieuses pour les gens de lettres. Ces deux hommes sont heureux d’être venus avant ce siècle ; il nous faut aujourd’hui quelque chose d’un peu plus fort ; ils sont venus au commencement du repas ; nous sommes ivres à présent, nous demandons du vin du Cap et de l’eau des Barbades.

J’espère vous présenter dans un an, si je vis, cette Histoire générale dont vous avez souffert l’esquisse. Je n’ai pas peint les docteurs assez ridicules, les hommes d’État assez méchants, et la nature assez folle. Je me corrigerai, je dirai moins de vérités triviales, et plus de vérités intéressantes. Je m’amuse à parcourir les petites-maisons de l’univers : il y a peut-être de la folie à cela, mais elle est instructive. L’histoire des dates, des généalogies, des villes prises et reprises, a son mérite ; mais l’histoire des mœurs vaut mieux, à mon gré ; en tout cas, j’écrirai sur les hommes moins qu’on n’a écrit sur les insectes[1].

Je finis pour reprendre l’histoire de Grotius, et pour avoir un nouveau plaisir. Conservez-moi vos bontés, monsieur, et soyez persuadé de la tendre estime de votre, etc.

  1. Les Mémoires pour servir à l’Histoire des insectes, par Réaumur, sont en six volumes in-4o ; l’édition in-4o de l’Essai sur les Mœurs ne forme que trois volumes.