Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3363

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 214-215).
3363. — À MADAME DE FONTAINE.
Aux Délices, 31 mai.

Je vous dirai d’abord, ma chère nièce, que vous avez une santé d’athlète, dont je vous fais de très-sincères compliments ; et que si jamais votre vieux malingre d’oncle se porte aussi bien que vous, il viendra vous trouver à Hornoy : ensuite vous saurez que Mme Denis était chargée d’envoyer trois cents livres à Daumart, dans sa province du Maine, quand il a débarqué chez vous, lui, son fils, et deux bidets. Je vous prie de lui dire que je lui donnerai trois cents livres tous les ans, à commencer à la Saint-Jean prochaine. Je vous enverrai un mandat à cet effet sur M. Delaleu, ou vous pourrez avancer cet argent sur les revenus du pupille, et sur la rente qu’il me fait : cela est à votre choix, j’ignore ce qui convient au jeune Daumart[1] ; je sais seulement que cent écus lui conviendront. Trouvez bon que je m’en tienne à cette disposition, que j’avais déjà faite.

Mme Denis embellit tellement le lac de Genève qu’il reste peu de chose pour les arrière-cousins. Quant à ma bâtarde Fanime, son protecteur, M. d’Argental, vous dira que je ne prétends pas que cette amoureuse créature se produise sitôt dans le monde. Mlle de Ponthieu[2] y fait un si grand rôle, et ses compagnes se présentent avec tant d’empressement, qu’il faut ne se pas prodiguer. Quand même la pièce vaudrait quelque chose, ce ne serait pas assez de donner du bon, il faut le donner dans le bon temps.

À vous maintenant, monsieur le capitaine des chariots de guerre de Cyrus[3]. Vous pouvez être sûr que je n’ai jamais écrit de ma vie à M. le maréchal d’Étrées, et que, s’il a été instruit de notre invention guerrière, ce ne peut être que par le ministère. J’aurais souhaité, pour vous et pour la France, que mon petit char eût été employé : cela ne coûte presque point de frais ; il faut peu d’hommes, peu de chevaux ; le mauvais succès ne peut mettre le désordre dans une ligue ; quand le canon ennemi fracasserait tous vos chariots, ce qui est bien difficile, qu’arriverait-il ? ils vous serviraient de rempart, ils embarrasseraient la marche de l’ennemi qui viendrait à vous. En un mot, cette machine peut faire beaucoup de bien, et ne peut faire aucun mal : je la regarde, après l’invention de la poudre, comme l’instrument le plus sûr de la victoire.

Mais, pour saisir ce projet, il faut des hommes actifs, ingénieux, qui n’aient pas le préjugé grossier et dangereux du train ordinaire. C’est en s’éloignant de la route commune, c’est en faisant porter le dîner et le souper de la cavalerie sur des chariots, avant qu’il y eût de l’herbe sur la terre, que le roi de Prusse a pénétré en Bohême par quatre endroits, et qu’il inspire la terreur.

Soyez sûr que le maréchal de Saxe se serait servi de nos chars de guerre.

Mais c’est trop parler d’engins destructeurs, pour un pédant tel que j’ai l’honneur de l’être.

On a imprimé dans Paris une thèse de médecine où l’on traite notre Esculape-Tronchin de charlatan et de coupeur de bourse. Il y a répondu par une lettre au doyen[4] de la faculté, digne d’un grand homme comme lui. Il y répond encore mieux par les cures surprenantes qu’il fait tous les jours.

Une jeune fille fort riche a été inoculée ici par des ignorants, et est morte. Le lendemain vingt femmes se sont fait inoculer sous la direction de Tronchin, et se portent bien.

Je vous embrasse tous du meilleur de mon cœur.

  1. Arrière-cousin maternel de Voltaire.
  2. Adèle de Ponthieu, tragédie de La Place, représentée pour la première fois le 28 avril 1757.
  3. Le marquis de Florian.
  4. Winslow était doyen d’âge en 1757.