Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3366

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 218).

3366. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 4 juin.

Ma conscience m’oblige, monseigneur, de vous présenter les remontrances de mon parlement : ce parlement est le parterre. Je suis assassiné de lettres qui disent que Lekain est le seul acteur qui fasse plaisir, le seul qui se donne de la peine, et le seul qui ne soit pas payé. On se plaint de voir des moucheurs de chandelles qui ont part entière, dans le temps que celui qui soutient le théâtre de Paris n’a qu’une demi-part. On s’en prend à moi ; on dit que vous ne faites rien en ma faveur, et on croit que je ne vous demande rien ; cependant, je demande avec instance. Je conviens que Baron avait un plus bel organe que Lekain, et de plus beaux yeux ; mais Baron avait deux parts ; et faut-il que Lekain meure de faim, parce qu’il a les yeux petits et la voix quelquefois étouffée ? Il fait ce qu’il peut ; il fait mieux que les autres : les amateurs font des vers à sa louange ; mais il faut que son métier lui procure des chausses ; il n’a que la moitié d’un cothurne, je vous conjure de lui donner un cothurne tout

J’aimerais mieux vous écrire en faveur de quelque Prussien que vous auriez fait prisonnier de guerre vers Magdebourg ; mais puisqu’à présent vous êtes occupé d’emplois pacifiques, souffrez que je vous parle en faveur d’Orosmane, de Mahomet, et de Gengiskan. Les héros doivent-ils laisser mourir de faim les héros ? On dit que vos chevaux manquent de fourrages en Vestphalie, et qu’on leur donne du jambon. Pour Dieu, faites donner à dîner à Lekain, tout laid qu’il est.

Vous avez dû recevoir les dernières volontés de l’amiral Byng : les miennes sont que je vous serai attaché tout ma vie avec le plus tendre respect.