Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3388

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 238-239).

3388. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 30 juillet 1757.

Madame, les lettres vont toujours comme les armées ; tout arrive, et je me flatte que les bataillons et les escadrons dont l’Allemagne est remplie n’empêcheront point mes hommages de parvenir aux pieds de Votre Altesse sérénissime.

M. le maréchal de Richelieu a voulu que je l’allasse voir sur la frontière. Je l’aurais accompagné volontiers s’il avait été en ambassade à Gotha ; mais son voyage n’étant point du tout pacifique, et ma passion de voyager n’étant que pour votre cour, je suis resté dans mon petit ermitage des Délices, où je conserve précieusement un banc qu’avait fait faire le prince votre fils, d’où l’on voit le lac et le Rhône, et sur lequel je regrette souvent ce prince, qui avait toute la bonté du caractère de sa mère.

Les affaires publiques ont bien changé, madame, depuis deux mois, et changeront peut-être encore. Il en résulte qu’il y aura plus de morts, et plus de vivants malheureux. Je me flatte toujours que les États de Votre Altesse sérénissime seront préservés des fléaux qui désolent tant d’autres. Votre sagesse et votre modération feront toujours votre bonheur et celui de vos sujets, tandis que l’ambition fait ailleurs tant d’infortunés.

Je ne sais si M. de Thun, qui avait l’honneur d’élever monseigneur le prince héréditaire, a celui d’être en correspondance avec Votre Altesse sérénissime. Il paraît qu’il a un poste de confiance à Paris. La reine, mère du roi de Prusse, a été regrettée généralement. L’impératrice a fait son éloge. C’était, en effet, une princesse pleine d’humanité et de douceur. Il faut avouer qu’en fait de bonté d’âme les hommes ne valent pas les femmes ; elles paraissent créées pour adoucir les mœurs du genre humain, et elles sont la plus belle preuve du meilleur des mondes possibles. La grande maîtresse des cœurs et moi nous savons bien à qui nous pensons, quand nous parlons de la meilleure des princesses possibles. Je la supplie de recevoir, avec sa bonté ordinaire, mon profond respect, et je demande la même grâce à toute son auguste famille.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.