Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3404

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 253-254).

3404. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
Aux Délices, 29 août 1757.

Madame, j’ai été touché jusqu’aux larmes de la lettre dont Votre Altesse royale m’a honoré. Je vous demanderais la permission de venir me mettre à vos pieds, si je pouvais quitter cette nièce infortunée, et j’ose dire respectable, qui m’a suivi dans ma retraite, et qui a tout abandonné pour moi ; mais, dans mon obscurité, je n’ai pas perdu un moment de vue Votre Altesse royale et son auguste maison. Votre cœur généreux, madame, est à de rudes épreuves. Ce qui s’est passé en Suède, ce qui arrive en Allemagne, exerce votre sensibilité. Il est à présumer, madame, que l’orage ne s’étendra pas à vos États. Mais votre âme en ressent toutes les secousses, et c’est par le cœur seul que vous pouvez être malheureuse. Puissent de si justes alarmes ne pas altérer votre santé ! C’est sans doute ce que vous représentent mieux que moi ceux qui sont attachés à Votre Altesse royale. Il est bien à souhaiter pour elle, et pour l’Allemagne, et pour l’Europe, qu’une bonne paix fondée sur tous les anciens traités finisse tant de troubles et de malheurs ; mais il ne paraît pas que cette paix soit si prochaine.

Dans ces circonstances, madame, me sera-t-il permis de mettre sous votre protection cette lettre que j’ose écrire à Sa Majesté le roi votre frère ? Votre Altesse royale la lui fera tenir si elle le juge convenable ; elle y verra du moins mes sentiments, et je suis sûr qu’elle les approuvera. Au reste, je ne croirai jamais les choses désespérées tant que le roi aura une armée. Il a souvent vaincu, il peut vaincre encore ; mais, si le temps et le nombre de ses ennemis ne lui laissent que son courage, ce courage sera respecté de l’Europe. Le roi votre frère sera toujours grand, et, s’il éprouve des malheurs comme tant d’autres princes, il aura une nouvelle sorte de gloire. Je voudrais qu’il fût persuadé de son mérite personnel : il est au point que beaucoup de personnes de tout rang le respectent plus comme homme que comme roi. Qui doit sentir mieux que vous, madame, ce que c’est que d’être supérieure à sa naissance !

Je serais trop long si je disais tout ce que je pense, et tout ce que mon tendre respect m’inspire. Daignez lire dans le cœur de


Frère Voltaire.

  1. Revue française, mars 1866 tome XIII, page 361.