Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3468

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 311-312).

3468. — À M.  TRONCHIN, DE LYON[1].
2 décembre.

L’homme respectable[2] qui pense comme il doit a fait sans doute de très-justes réflexions sur l’aventure du 5. Vous pouvez être très-sûr que tout était fini si on s’était emparé des hauteurs que le roi de Prusse garnit de cavalerie et de canons sans qu’on s’en aperçût. On était trois fois plus près de ces hauteurs que lui. Le général Marschall entrait en Saxe avec quinze mille hommes. Tout a été perdu par une seule faute bien grossière. L’artillerie prussienne emportait nos gens dix à dix, et on s’enfuit de tous côtés. Le roi de Prusse se donna le soir le plaisir de demander des draps à une dame d’un château voisin, chez laquelle il soupa, pour faire des bandages à nos blessés. On ne peut nous humilier avec plus de générosité. La reine de Pologne est morte de chagrin. La France se ruine. Voilà encore quarante millions en rentes viagères.

Les mêmes intentions qu’on avait, on les a encore : « J’écrirai au premier jour à M.  le c. de T.[3]. Assurez-le, je vous prie, de toute mon estime ; et dites-lui que je persiste toujours dans mon système. »

Voilà les propres mots qu’on m’écrit du 23 novembre. Je supplie qu’on écrive en droiture, si cela se peut, sans hasarder que les lettres soient ouvertes sur la route. Il n’appartient qu’à la prudence de Son Éminence de conduire cette affaire très-épineuse, et de donner les conseils convenables dans des circonstances où l’on ménage avec une attention scrupuleuse d’autres puissances.

Je ne fais d’autre office que celui d’un grison[4] qui rend les lettres ; mais mon cœur s’acquitte d’un autre devoir auquel il s’attache uniquement : celui d’aimer son roi, sa patrie et le bien public, de ne me mêler absolument de rien que de faire des vœux pour la prospérité de la France, et de mériter l’estime de celui dont je respecte les lumières autant que la personne.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le Cardinal de Tencin
  3. Le cardinal de Tencin.
  4. Valet vêtu de gris, sans livrée.