Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3553

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 394-395).

3553. — À M. TRONCHIN, DE LYON[1].
Lausanne, 12 février.

Si ce n’était par un excès de bonté que Son Éminence veut bien me confier la copie de sa lettre, je soupçonnerais un peu d’amour-propre. On ne peut écrire avec plus de dignité, ni avec plus de sagesse, ni dans une meilleure intention. Mais celui qui a écrit cette lettre est supérieur à l’amour-propre. Mes applaudissements lui feront moins de plaisir que la situation des affaires ne doit lui faire de peine. On est dans un labyrinthe dont on ne peut guère sortir que dans des ruisseaux de sang et sur des corps morts. C’est une chose bien triste d’avoir à soutenir une guerre ruineuse sur mer, pour quelques arpents de glace en Acadie, et de voir fondre des armées de cent mille hommes en Allemagne, sans avoir un arpent à y prétendre. J’aurais des volumes de réflexions inutiles à faire sur cette double position : c’est pourquoi je n’en fais point ; je me contente d’encourager la sœur et même le frère à se servir dans l’occasion de la voie déjà employée. Comptez qu’avant dix-huit mois la cour sera bien lasse des dépenses exorbitantes prodiguées pour des intérêts étrangers, contraires au véritable intérêt, dépenses encore augmentées par la déprédation la plus ruineuse. Alors on pourra écouter ceux qui proposeront un plan de pacification.

Vous avez déjà appris que le collet rouge de M. l’abbé de Bernis est surmonté du collier de l’ordre. Ce collet fera bientôt place à une barrette.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.