Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3576

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 419).

3576. — À M.  THIERIOT[1].
Lausanne, 7 mars 1758.

Liron, loir, paresseux, négligent, qui ne songez à rien, Mme  de Graffigny me mande que vous m’envoyez un histrion qu’elle me recommande. M.  Marin prétend que vous m’avez envoyé le grand Saladin ou Sala-Heddin[2]. Rien de tout cela. Je n’ai entendu parler ni de cet envoi, ni de ce comédien. Si vous vous perfectionnez dans ce beau talent que Dieu vous a donné de n’avoir cure de rien, vous deviendrez l’homme d’Ésope. Mon cher et ancien ami un peu des offices de Cicéron, s’il vous plaît, un peu d’attention dans la société. Parce que vous êtes auprès de la première baronne chrétienne, et d’une dame pleine de grâces et d’esprit, vous vous croyez en droit d’abandonner net un pauvre Suisse : cela n’est pas d’un bon cœur, et vous trouverez que tant de négligence est expressément condamné dans le livre de Amicitia.

Que deviennent les encyclopédistes ? continuent-ils ? ou sont-ils assez unis, assez fermes pour ne rien faire que quand on leur rendra justice ? Pourquoi le philosophe Duclos est-il brouillé avec le philosophe d’Alembert ? Comment a-t-on reçu le maréchal de Richelieu ? M.  de Paulmy va-t-il voir son oncle ? Qui sera archevêque de Lyon ? Qui aura le chapeau rouge de ce bon prélat ? Qui montre à lire à monseigneur le duc de Bourgogne ? Qui est secrétaire d’État de la guerre sous M.  de Belle-Isle ? Comment vous portez-vous ? Je vais jouer un beau rôle de vieillard dans Fanime : c’est la quatrième représentation. J’ai le plus beau bonnet de la terre. Mme  Denis joue mieux que Mlle  Clairon ; et moi, infiniment mieux que Sarrazin, afin que vous le sachiez. Nous avons appris à vingt lieues à la ronde à avoir du plaisir ; nous avons fait d’une partie de la Suisse la vallée de Tempe. Interim vale.

  1. Pièces inédites de Voltaire, 1820.
  2. Voyez une note de la lettre 3583.