Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3599

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 438).

3599. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Lausanne, 29 avril.

Ce n’est point à mon cœur, ce n’est point à mon âme, ce n’est point à ma main, ce n’est point à mon visage, madame, que vous devez vous en prendre, si je n’ai pas eu l’honneur de vous écrire depuis si longtemps ; c’est, ne vous déplaise, à mon derrière, qui m’a joué de fort cruels tours. On souffre de partout, madame, dans ce monde-ci. Il y a pourtant du bon dans la vie. Le mariage de monsieur votre fils[1], par exemple, est une des bonnes choses que je connaisse. Vingt mille francs de pension pour épouser sa maîtresse ! Il n’y a rien assurément de si bien arrangé et de si heureux. Mme  Denis et moi nous vous en faisons, madame, les plus sincères compliments. Vous voilà très-heureuse par monsieur votre fils ; soyez-le toujours par vous-même. Jouissez d’une santé toujours égale, que vous devrez à votre sage régime et à votre tranquillité. Quelque chose qui arrive sur les bords du Rhin, vers Wésel, soyez contente à l’île Jard ; quelques millions que le roi emprunte, soyez payée de vos revenus : voilà ce que je vous souhaite du meilleur dé mon cœur. Si vous avez quelques nouvelles, amusez-vous-en, et daignez m’en amuser ; mais ne perdons ni le sommeil ni l’appétit : supportons les malheurs du genre humain tout doucement. Adieu, madame. La philosophie est, après la santé, ce que je connais de mieux. Je vous suis toujours attaché avec le plus tendre respect.

  1. Avec Mme  de Crèvecœur.