Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3603

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 442).
3603. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
aux Délices, 8 mai.

Mon cher ange, il doit y avoir une petite caisse plate, qui contient quelque chose d’assez plat, à votre adresse, au bureau des coches de Dijon. Cette platitude est mon portrait. Un gros et gras Suisse, barbouilleur en pastel, qu’on m’avait vanté comme un Raphaël, me vint peindre à Lausanne, il y a six semaines, en bonnet de nuit et en robe de chambre. Je fis partir ma maigre effigie par le coche de Dijon, ou par les voituriers. Une madame Rameau, commissionnaire de Dijon, s’est chargée de vous faire tenir ce barbouillage. Je vous demande pardon pour ma face de carême ; mais non-seulement vous l’avez permis, vous l’avez ordonné, et j’obéis toujours tôt ou tard à mon cher ange. Est-il vrai que la Fille d’Aristide le Juste ait été aussi maltraitée par le parterre parisien que son père le fut par les Athéniens ? Cela n’est pas poli ; heureusement vous aurez bientôt Mme du Boccage, qui revient[1], dit-on, avec une tragédie. Mme Geoffrin ne nous donnera-t-elle rien ?

J’ignore ce qu’on fait sur mer et sur terre. Il paraît que les chiens de la guerre, comme dit Shakespeare, cessent de mordre et même d’aboyer ; les Anglais admirent cette expression. Je suis toujours émerveillé de ce qui se passe ; celui que vous appeliez tous Mandrin[2], il y a deux ans, il y a un an, devient un homme supérieur à Gustave-Adolphe et à Charles XII, par les événements. On sera réduit à faire la paix. Dieu nous doit cette douce humiliation ! Cependant nous avons une assez bonne troupe aux portes de Genève. La nièce et l’oncle vous baisent les ailes.

  1. D’Italie.
  2. Frédéric ; voyez la lettre 3250.