Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3605

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 443-444).

3605. — DE M. MARMONTEL[1].
De Versailles, le 15 mai.

Monsieur, il y avait autrefois un jeune homme que vous aimiez comme votre enfant, et qui vous respectait comme son père en Apollon. Cet enfant eut la faiblesse et le malheur de s’éloigner de son père ; le ciel l’en punit. Il fit des Égyptus[2] qui tombèrent ; il fit d’autres sottises ; en un mot, rien ne lui prospéra.

Dans l’amertume de ses regrets, il dit : « J’irai vers mon père ; » et, pour se présenter avec la robe blanche, il alla se purifier chez les cacouacs. Parmi ce peuple vertueux et persécuté tout retentissait de votre nom. Ce fils, qui vous aimait toujours, mêla sa faible voix à ce concert de louanges, et s’écria comme tout le monde : « Mon père est la lumière de son siècle ; il est revêtu de force et de grâce ; il porte d’une main le pinceau de la Poésie, de l’autre le compas de la Raison ; il grave la vérité sur des tables de diamants ; il trace avec des fleurs les sentiers de l’Art et du Goût ; il vole sur les ailes du Génie. » Votre fils vous loua, et il fut loué. L’ange de la Prospérité le prit par la main, le conduisit dans une campagne riante et fertile, et lui dit : « Voilà le champ que je t’ai réservé ; si tu veux que je te donne des moissons abondantes, jette-toi dans le sein de ton père, et obtiens de lui qu’il le sème. »

Je suis avec une piété filiale, etc.

  1. Voltaire répondit à cette lettre le 19 mai.
  2. Tragédie de Marmontel, jouée le 5 février 1753, non imprimée.