Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3618

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 454-455).

3618. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
15 juin.

Mon divin ange, ce paquet contient de plats articles pour ce Dictionnaire encyclopédique. L’article Heureux a pourtant quelque chose d’interressant, ne fût-ce que par le sujet. Il n’appartient guère à un homme éloigné de vous de traiter cette matière.

Si vous avez la bonté de donner ces paperasses avec Histoire, on commence à présent le huitième volume, et votre présent sera bien reçu. Diderot ne m’a point écrit : c’est un homme dont il est plus aisé d’avoir un livre qu’une lettre. Il est vrai qu’il n’a pas trop de temps, et qu’on peut lui pardonner. Ce n’est qu’à la campagne qu’on a du temps, encore n’en ai-je guère.

Il est toujours bon, mon cher ange, de dire aux auteurs que leur pièce est bonne. Il n’y a que moi à qui on puisse dire franchement la vérité ; d’ailleurs la pièce[1] en question est si intriguée, si chargée, que je n’y comprends plus rien. On dit que les places du parlement ont été mises au double, et que cela indispose le public contre l’auteur ; il n’y a que le temps qui décide du mérite des ouvrages. Il faut donc attendre.

Je rends mille grâces à votre aimable ami, au plus aimable des ambassadeurs[2]. Je suis pénétré de reconnaissance pour vous et pour lui. Sa médiation sera d’autant mieux placée qu’elle sera seulement l’effet de la bonté de son cœur, qu’elle ne paraîtra point mendiée, qu’elle ne pourra embarrasser en rien la personne à qui cette médiation s’adressera, et que probablement elle sera très-bien reçue. Rien ne presse ; et on peut attendre très-patiemment le


· · · · · · · · · · mollia fandi
Tempora · · · · · · · · · ·

Ce qui me tient beaucoup plus au cœur, c’est que vous veniez à Lyon, mon cher ange. Il faut absolument que Tronchin, qui va partir, fasse cette négociation[3], et qu’il la fasse de lui-même, et qu’il y réussisse. Comptez qu’il entend ces affaires-là comme celles du change. Mon Dieu, le joli coup que ce serait ! On est riche comme un puits. On radote. J’aurais le bonheur de vous voir. J’ai toujours peur de radoter moi-même en me livrant trop à mes idées ; mais pardonnez-moi la plus douce illusion du monde.

Mme  de Fontaine vous rapportera Fanime et la Femme qui a raison. Si ces misères vous amusent, elles en amuseront bien d’autres.

Je me flatte que Mme  d’Argental est en bonne santé. Je baise les ailes de tous les anges.

Je fais mille tendres compliments à M.  de Sainte-Palaye ; je suis aussi honoré qu’enchanté de l’avoir pour confrère[4].

  1. Sans doute la Fille d’Aristide.
  2. Chauvelin.
  3. Il s’agissait d’exciter Mme  de Grolée à engager son neveu d’Argental à la venir voir à Lyon. Voltaire espérait de cette entrevue des suites avantageuses pour son ami.
  4. Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye, né à Auxerre en 1697, reçu à l’Académie française en 1758, à la place de Boissy, est mort le 1er  mars 1781.