Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3619

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 455-456).

3619. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 16 juin.

Vous avez dû, madame, avoir M.  le prince de Soubise, qui probablement a passé par Strasbourg pour aller prendre sa revanche. M.  le comte de Clermont joue peut-être sa première partie au moment où je vous écris[1]. En attendant, nous payons les cartes. Permettez-moi de vous demander où est monsieur votre fils pendant toutes ces aventures. Ne sert-il pas toujours ? N’a-t-il pas été de son lit de mariage à son lit de camp ? Était-il dans l’armée de Hanau ? Est-il dans l’armée du Rhin ? Je fais toujours des vœux pour sa conservation, pour son avancement, et pour la tranquillité de votre vie.

J’ai été sur le point, madame, de venir vous faire une visite. Je promets tous les ans à monseigneur l’électeur palatin de lui aller faire ma cour. Je viendrais vous demander un lit, et jouir de la consolation de causer avec vous, si je pouvais faire le voyage ; mais ma mauvaise santé et ma famille, que j’ai auprès de moi, me retiennent. Daignez au moins m’apprendre quelques bonnes nouvelles des bords de votre Rhin. Notre lac de Genève est plus tranquille ; on n’y extermine que des truites qui pèsent Irente livres ; et on y est presque dégoûté de la félicité paisible qu’on y goûte. Nous sommes trop heureux, et les Allemands et les Français sont trop à plaindre. Vous n’avez vu dans votre vie que des malheurs. Vivez heureuse au milieu de tant de désolations, s’il est possible. Pourquoi donc votre pauvre neveu a-t-il choisi le voisinage de Lyon pour sa maison de campagne ? Que de misère générale et particulière dans ce monde ! Consolez-vous avec votre très-aimable chanoinesse[2], et conservez vos bontés pour les ermites du lac. V.

  1. Quelques jours plus tard, le 23 juin, Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, fut battu près de Crevelt par le prince Ferdinand de Brunswick.
  2. Mme de Brumath.