Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3658

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 496-497).

3658. — À M.  DARGET.
Aux Délices, 16 septembre 1758.

Mon ancien ami, vous n’avez point répondu à la lettre que je vous écrivis de Manheim[1]. Vous sentez que, dans les circonstances présentes, il est bien triste que cette lettre par laquelle j’avais répondu avec confiance à vos ouvertures ait été imprimée dans les journaux et falsifiée. Vous me feriez un plaisir extrême de me renvoyer ma lettre, afin que je pusse la confronter avec celle qui a couru, et que j’eusse une pièce justificative toute prête. Je sens que vous avez été aussi indigné que moi de cet abus que les journalistes se permettent de publier les secrets des particuliers sans en demander la permission. C’est violer un des premiers droits de la société ; et quand la fausseté est jointe à cette hardiesse, c’est un crime. Je crois que le journaliste n’a pas eu mauvaise intention, mais il ne m’a pas moins nuit. Il m’a écrit, il a fait une espèce de désaveu[2] que je dois à vos soins et à votre probité, et dont je vous remercie. Je n’ai point voulu irriter cet homme par des plaintes, qui sont inutiles quand la chose est faite, et qui ne peuvent qu’aigrir. Il ne s’attendait pas que le roi de Prusse remporterait sur les Russes une victoire si complète et si mémorable[3]. Il faut à présent se taire sur les succès inouïs de ce monarque, et sur les malheurs de la France. Vous me feriez plaisir de me mander s’il est vrai qu’il y ait plusieurs édits pécuniaires, et si on continue de payer les rentes de l’Hôtel de Ville et de la compagnie des Indes. Vous avez du moins une planche dans le naufrage général. Vous êtes bien placé à l’École militaire, école dont on a grand besoin. Je vous souhaite tout le bonheur que vous méritez, et suis à vous pour jamais bien tendrement.


Le Suisse V.

  1. C’est le n° 3633.
  2. Imprimé sous le titre d’Avis au public, dans le Journal encyclopédique du 15 août 1758, page 147.
  3. La bataille de Zorndorf, près de Custrin, où, suivant quelques-uns, la victoire fut indécise ; où, suivant d’autres, elle resta aux Russes, qui cependant, après onze heures et demie de combat, perdirent cent trois canons, au moins quinze mille morts, et deux mille prisonniers. (B.)