Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3673
Que les Russes soient battus, que Louisbourg soit pris, qu’Helvétius ait demandé pardon de son livre, qu’on débite à Paris de fausses nouvelles et de mauvais vers, que le parlement de Paris ait fait pendre un huissier pour avoir dit des sottises, ce n’est pas ce dont je m’inquiète ; mais M. Ango de Lézeau, et quatre années qu’il me doit, sont le grave sujet de ma lettre. Peut-être M. Ango me croit-il mort ; peut-être l’est-il lui-même. S’il est en vie, où est-il ? S’il est mort, où sont ses héritiers ? Dans l’un et l’autre cas, à qui dois-je m’adresser pour vivre ?
Pardonnez, mon ancien ami, à tant de questions. Je me trouve un peu embarrassé ; j’ai essuyé coup sur coup plus d’une banqueroute. Notre ami Horace dit tranquillement :
Del vitam, det opes ; æquum mi animun ipse parabo.
Vraiment je le crois bien ; voilà un grand effort ! Il n’avait pas affaire à la famille de Samuel Bernard et à M. Ango de Lézeau. Ce
petit babouin crut faire un bon marché[1] avec moi, parce que j’étais
fluet et maigre ; vivimus tamen, et peut-être Ango occidit dans son marquisat.
Qu’il soit mort ou vivant, il me semble que j’ai besoin d’un honnête procureur normand. En connaîtriez-vous quelqu’un dont je pusse employer la prose ?
Mais vous, que faites-vous dans votre jolie terre de Launai ? bâtissez-vous ? plantez-vous ? avez-vous la faiblesse de regretter Paris ? ne méprisez-vous pas la frivolité, qui est l’âme de cette grande ville ? Vous n’êtes pas de ceux qui ont besoin qu’on leur dise :
Omitte mirari beatæ
Fumum et opes strepitumque Romæ.
Cependant on dit que vous êtes encore à Paris ; j’adresse ma lettre rue Saint-Pierre, pour vous être renvoyée à Launai, si vous avez le bonheur d’y être. Adieu ; je vous embrasse.
Nisi quod non simul essem, cætera lætus.
- ↑ Voyez tome XXXIII, page 352 ; et XXXVIII, 189,