Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3693

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 528).

3693. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Du 6 novembre.

Il vous a été facile de juger de ma douleur par la perte que j’ai faite[1]. Il y a des malheurs réparables par la constance et par un peu de courage ; mais il y en a d’autres contre lesquels toute la fermeté dont on veut s’armer et tous les discours des philosophes ne sont que des secours vains et inutiles. Ce sont de ceux-ci dont ma malheureuse étoile m’accable dans les moments les plus embarrassants et les plus remplis de ma vie.

Je n’ai point été malade, comme on vous l’a dit ; mes maux ne consistent que dans des coliques hémorroïdales, et quelquefois néphrétiques. Si cela eût dépendu de moi, je me serais volontiers dévoué a la mort, que ces sortes d’accidents amènent tôt ou tard, pour sauver et pour prolonger les jours de celle qui ne voit plus la lumière. N’en perdez jamais la mémoire, et rassemblez, je vous prie, toutes vos forces pour élever un monument à son honneur. Vous n’avez qu’à lui rendre justice ; et, sans vous écarter de la vérité, vous trouverez la matière la plus ample et la plus belle.

Je vous souhaite plus de repos et de bonheur que je n’en ai.


Fédéric.

  1. La margrave de Baireuth, sœur du roi de Prusse, morte le 14 octobre 1758.