Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3766

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 28).
3766. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 2 février.

Comment va votre santé, madame ? comment vous trouvez-vous du plus doux des hivers ? Connaissez-vous milord Maréchal, ancien conjuré anglais, ancien réfugié en Espagne, aujourd’hui gouverneur ad honores de la petite principauté de Neufchâtel ? Il passa hier par Genève pour aller, de la part du roi son maître prussien, allumer, s’il le peut, quelques flamheaux de la discorde dans l’Italie. S’il ne sert que suivant l’argent que son maître lui donne, il fera une besogne bien médiocre. Les nouvellistes du pays que j’habite, qui ont des correspondances dans toute l’Europe, disent toujours que la conspiration du Portugal[1] n’est que la suite des amours du roi et de la jalousie d’un homme du vieux temps, qui a trouvé mauvais d’être c… Vous voyez, mesdames, que, depuis Hélène, vous êtes la cause des plus grands événements ; mais les jésuites vous disputent votre gloire. Ils se sont mêlés de cette affaire, qui ne les regardait pas. De quoi s’avisent-ils d’entrer dans la vengeance de la mort d’une femme ? Ils disent pour raison qu’ils étaient depuis longtemps en possession d’assassiner, et qu’ils n’ont pas voulu laisser perdre leurs privilèges. La mort prochaine du roi d’Espagne, les attentats contre les têtes couronnées, les amis du roi de Suède mourant par la main du bourreau[2], l’Allemagne nageant dans le sang, forment un tableau horrible. Cependant on ne songe à rien de tout cela dans Paris, On y est toujours aussi fou qu’auparavant, toujours se plaignant, toujours riant, toujours criant misère, et plongé dans le luxe ; et moi, madame, toujours vous aimant avec le plus tendre respect.

  1. Voyez tome XV, page 395.
  2. Voyez la note 1, tome XXXIX, page 82.