Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3767

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 28-29).

3767. — À M.  DE CHAUVELIN[1].
Aux Délices, route de Genève, 3 février.

Vous allez être étonné, monsieur, qu’au lieu de vous demander des lumières sur des objets de littérature, selon mon ancien usage, je me borne à vous demander votre protection sur le centième denier. J’ai commencé à être honteux sur la fin de ma vie de l’avoir employée à barbouiller du papier.

On prétend que les Chinois et les Indous disent à Dieu en mourant : « Tu n’as rien à me reprocher : j’ai fait des enfants, bâti des maisons, et planté des arbres. » Je ne sais pas bien exactement, monsieur, si j’ai rempli le premier devoir ; mais je me vois au moins deux tiers d’indou et de Chinois : je plante et je bâtis. Je fais plus, je laboure, et je crois que l’invention du semoir est très-utile à l’État. Mais, en mettant beaucoup de deniers dans ces opérations, je ne pense pas que je doive le centième denier exigé par M.  Girard[2]. Je crois que M.  Girard n’est ni un homme de génie, ni un homme de bonne compagnie. C’est ce qui fait, monsieur, que je m’adresse à vous de préférence à lui. Je vous crois d’ailleurs beaucoup plus juste qu’un Girard. Je n’ai pas l’honneur de vous écrire de ma main, et vous pardonnerez cette insolence à un vieux malade ; mais tant que les facultés de sentir et de penser me resteront, je vous serai toujours attaché avec le plus tendre respect.

  1. Intendant des finances. — Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Directeur du domaine.