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Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3808

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 62-63).

3808. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Breslau, 21 mars.

Vous ne vous êtes pas trompé tout à fait ; je suis sur le point de me mettre en marche. Quoique ce ne soit pas pour des sièges, toutefois c’est pour résister à mes persécuteurs.

J’ai été ravi de voir les changements et les additions que vous avez faits à votre ode. Rien ne me fait plus de plaisir que ce qui regarde cette matière-là. Les nouvelles strophes sont très-belles, et je souhaiterais fort que le tout fut déjà imprimé. Vous pourrez y ajouter une lettre[1], selon votre bon plaisir ; et, quoique je sois très-indifférent sur ce qu’on peut dire de moi en France et ailleurs, on ne me fâchera pas en vous attribuant mon Histoire de Brandebourg[2]. C’est la trouver très-bien écrite, et c’est plutôt me louer que me blâmer.

Dans les grandes agitations où je vais entrer, je n’aurai pas le temps de savoir si on fait des libelles contre moi en Europe, et si on me déchire. Ce que je saurai toujours, et dont je serai témoin, c’est que mes ennemis font bien des efforts pour m’accabler. Je ne sais pas si cela en vaut la peine. Je vous souhaite la tranquillité et le repos dont je ne jouirai pas tant que l’acharnement de l’Europe me persécutera. Adieu.


Fédéric.

N. B. Vous m’avez tant parlé du médecin Tronchin que je vous prie de le consulter sur la santé de mon frère Ferdinand[3], qui est très-mauvaise. Dans le courant de l’année passée il a eu deux fièvres chaudes dont il lui est resté de grandes faiblesses. À cela se sont joints les symptômes d’une sueur de nuit et d’une toux avec expectoration. Les médecins jusqu’ici croient qu’il crache une vomique ; et pour moi, qui ai tant vu de maladies pareilles funestes à tous ceux qui en ont été attaqués, je crains beaucoup pour sa vie : non pas les effets d’une mort prochaine, mais d’un accablement qui le conduira au tombeau à la chute des feuilles. Je crois ne devoir rien négliger pour les secours que l’art peut fournir, quoique j’aie très-peu de confiance en tous les médecins.

Je vous prie de consulter Tronchin pour savoir ce qu’il en pense, et s’il croit pouvoir le sauver. Je dois ajouter à ceci, pour le médecin, que les urines sont fort rouges et fort colorées, que l’expectoration sent mauvais, que la faiblesse est grande, l’abattement considérable, qu’il y a tous les symptômes d’une fièvre lente, qui cependant ne parait point le jour, pendant lequel le pouls est faible. Je souhaite qu’il en ait meilleure espérance que moi.

  1. Ce n’est point une lettre, mais une longue note qui parut à la suite de l’Ode sur la mort de la princesse de Baireuth.
  2. C’est ce qu’avait fait Caveyrac, page 84 de son Apologie de Louis XIV.
  3. Ferdinand, ou Auguste-Ferdinand, né le 23 mai 1730.