Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3872
Mon divin ange parmesan, je reçois enfin un mot de votre écriture céleste, et un volume de critiques de Scaliger, de la main de madame l’Envoyée de Parme[1]. Sa négociation ne sera pas difficile. Vous ne songez pas qu’il s’est passé trois semaines entre l’envoi de la chevalerie[2] et votre réponse ; et que, pendant trois semaines, il faut bien qu’une tragédie ait le temps de changer de visage : aussi en a-t-elle changé tous les jours. Je viens d’entrevoir quelques critiques auxquelles j’ai répondu, il y a plus de quinze jours, par des vers bons ou mauvais.
Quelque respect que j’aie pour ce barbare de grand homme Pierre Ier, je l’abandonne à tout moment pour mes chevaliers. Les terres me désolent, M. d’Espagnac[3] m’opprime, les fermiers généraux me tourmentent ; j’ai peu de foin ; et cependant il faut faire des tragédies et des histoires avec une santé déplorable. Mlle Fel a beau adoucir mes maux par son joli gosier, la tête va me tourner.
Mon cher ange, quelle différence de M. le duc de Choiseul à monsieur l’abbé[4] ! Cependant vous n’aviez point hébergé,
Alimenté, rasé, désaltéré, porté[5]
mains d’un homme qui pense si noblement, qui fait du bien à ses amis : c’est une belle âme. Dites-moi donc un peu, n’est-il pas très-bien avec la personne[6] envers qui on prétend que Dabet fut ingrate ?
Ah çà, combien de fromages de Parmesan vous donne-t-on par année ? N’est-ce pas douze mille ?
Je veux que mon ange soit à son aise. Vraiment M. le duc de Choiseul a eu très-grande raison de créer ce poste ; le beau-père Stanislas a un ministre, et le gendre[7] n’en aurait pas ?
La poste part ; je n’ai pas eu le temps de lire le volume de Mme d’Argental ; je vais le dévorer. Je baise le bout de vos ailes, à tous tant que vous êtes.
- ↑ Voilà pourquoi Voltaire donne à Mme d’Argental le nom de Mme Scaliger, dans de nombreuses lettres.
- ↑ Tancrède.
- ↑ De Sahuguet d’Espagnac, conseiller de grand’chambre depuis janvier 1737, et chef du conseil du comte de La Marche.
- ↑ L’abbé de Bernis. Il venait d’être créé cardinal (2 octobre 1758), lorsqu’il fut remplacé au département des affaires étrangères par le duc de Choiseul.
- ↑ Vers du Joueur, de Regnard, acte III, scène iv.
- ↑ La Porapadour, qui passait pour avoir été fort intime avec Babet-Bernis. (Cl.)
- ↑ Philippe, duc de Parme, avait épousé Louise-Elisabeth, fille de Louis XV, morte à Versailles le 6 décembre 1759, de la petite vérole.