Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3921
Madame, je reçois la lettre dont Votre Altesse sérénissime m’honore par les mains de l’avocat qu’elle a envoyé dans nos montagnes. Que vous faites bien, madame, de vous délivrer de tous ces banquiers ! Les Olenslager, et tous les gens de son espèce, auront à la fin tout l’argent de l’Europe. Je n’ai nulle nouvelle du marchand baron[2] ; il est en pleine Suisse, dans sa terre, qu’il a gagnée à vendre paisiblement de la mousseline, tandis que tant de terres de ceux qui ne vendent que leur sang sont ravagées. Il sera sans doute fort aise lui-même du parti que Votre Altesse sérénissime a pris. Je n’ai point vu encore celui qu’elle a envoyé ; j’étais dans un de mes ermitages, quand il me cherchait dans l’autre. Je l’attends aujourd’hui à dîner ; mais la poste partira avant qu’il arrive : c’est ce qui me détermine à écrire par le courrier, qui d’ailleurs ira plus vite que lui.
J’eus l’honneur, madame, de vous écrire avant-hier, et je pris la liberté de mettre dans le paquet une lettre qui peut n’être pas tout à fait inutile à la personne[3] qui la recevra. Vous vous intéressez à elle, et je ne devrais pas m’y intéresser ; mais les affaires de ce monde tournent quelquefois d’une manière ridicule. Il est sans doute bien extraordinaire que je sois à portée de servir cette personne. Elle est très-capable de n’en rien croire : car, avec de très-grandes qualités, on a quelquefois des caprices. Je n’ose en dire davantage. Plût à Dieu, madame, que je pusse venir me mettre à vos pieds pendant quelques jours ! Je me flatte que les yeux de la grande maîtresse des cœurs sont meilleurs que les miens : ils vous voient tous les jours ; les miens sont punis d’avoir quitté votre cour.
Recevez, madame, les profonds respects de l’ermite V., avec votre indulgence ordinaire.