Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3993

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 250-251).
3993. — DE CLÉMENT, DE DIJON.
À Dijon, ce 6 décembre 1759.

Monsieur, si je ne savais pas que votre sagesse vous fait assez mépriser les petitesses des grands pour n’en pas être susceptible, je ne serais pas surpris que vous eussiez dédaigné de répondre à la lettre que j’ai osé vous écrire, et où mon cœur vous a peint tout ce qu’il ressentait. J’étais convaincu, quand ma main vous a tracé des caractères fidèles interprètes de mes sentiments, que la noblesse des vôtres ne vous permettait pas d’être insensible à la douleur d’un malheureux, et que vous saviez essuyer des pleurs que l’infortune a fait couler : j’étais persuadé que l’on n’implore pas en vain votre bonté, que vos bras s’ouvraient facilement pour y donner un asile à l’innocence, que votre cœur enfin était encore plus grand que votre esprit. Voilà ce dont j’étais persuadé, dont je le suis encore, et ce qui m’a enhardi à vous exposer ma triste situation dans ma première lettre. Jugez à présent, monsieur, si votre silence peut ne pas m’affliger. Peut-être, hélas ! vous êtes-vous imaginé que vous me verriez payer votre amitié, vos bienfaits, par la plus noire ingratitude ; que je serais assez lâche, assez criminel, pour n’en être pas plus reconnaissant. Ah ! monsieur, n’ayez pas, si vous le voulez, égard à mes autres prières, mais ne me faites pas l’injure de soupçonner ainsi ma probité ! C’est le seul bien qui me reste ; c’est ce bien précieux que je voudrais délivrer de la contagion générale. Vos soupçons le flétriraient ; votre générosité, votre grandeur d’âme, peuvent en conserver, en relever l’éclat. Ma tendresse, mon zèle, mon respect, voilà mes seuls biens : ils sont à vous, ils y seront toujours. Quand même vous me refuseriez ce que je vous demande avec tant d’ardeur, mais que vous n’êtes pas en droit de m’accorder ; quand, dis-je, vous me le refuseriez, je serais toujours convaincu que votre vertu le permet, que des raisons qui me sont inconnues vous y engagent, et je ne soupirerais alors qu’après le bonheur de les connaître. Enfin, monsieur, quelles que soient vos bontés, faites-les savoir à un jeune homme que l’incertitude met dans l’état le plus triste, et qui ne vous en aimera pas moins quand vous ne recevriez pas les vœux qu’il vous adresse.

Peut-être, monsieur, n’avez-vous pas reçu ma première lettre. Si cela était, et que vous désirassiez la voir, vous pourriez me le dire. Voici mon adresse : À Clément fils, chez son père, procureur à Dijon, derrière les Minimes.