Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3994

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 251-252).

3994. — À MADAME D’ÉPINAI.
Aux Délices, 7 décembre.

J’ai deux grâces à vous demander, ma chère philosophe, lesquelles ne tiennent en rien à la philosophie : la première, c’est de vouloir bien m’envoyer un second exemplaire de la Mort et de l’Apparition de mon cher frère Berthier ; la seconde, de vouloir bien vous abaisser en ma faveur jusqu’à jeter un coup d’œil sur les misérables affaires de ce monde matériel, et de me dire si les actions des fermes sont un effet qui puisse et qui doive subsister. Ce sont deux propositions de théologie et de finances dont je suis honteux. Le paquet Berthier pourrait être contresigné Bouret, car ce cher et bienfaisant Bouret a la bonté de me contre-signer tout ce que je veux. Ma respectable philosopbe, vous êtes bien tiède : quoi ! vous et le prophète de Bohême, vous êtes à Paris, et l’infâme n’est pas encore anéantie ! Il faudra que je vienne travailler à la vigne.

Ma chère philosophe, vous n’avez pas eu de confiance en moi, et vous l’avez prodiguée à des prêtres genevois. Vos livres[1] courent Genève ; je suis obligé de vous en avertir ; je vous aime. Vous avez été déjà la dupe d’un Genevois[2] ; ah ! ma philosophe, ne vous fiez qu’aux solitaires comme moi, et aux Bohémiens[3] ; ne me trahissez pas, mais tachez de rattraper tous vos exemplaires. Votre fils serait un jour désespéré si cela transpirait.

Mandez-moi, je vous prie, comment vont les affaires publiques ; ce n’est pas curiosité, c’est nécessité. Je suis dans la même barque que vous : il est vrai que j’y suis à fond de cale, et vous autres au timon ; mais nous sommes battus des mêmes vents. Ma belle philosophe, vous êtes vraie ; mettez-moi au fait, je vous en prie, et daignez conserver quelque amitié pour l’ermite.

  1. Lettres à mon fils, 1758, in-8o ; 1759. in-12 : Mes Moments heureux, 1758, in-8o ; 1759, in-12.
  2. J.-J. Rousseau.
  3. C’est-à-dire à Grimm.