Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4017

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 270-271).

4017. — À M.  LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
7 janvier.

Le sieur Girod, monsieur, n’a pu encore signer avec moi ; mais il m’a donné votre parole, et je suis entièrement à vos ordres. Il y a quelques préliminaires dont il est essentiel que je m’assure. J’ai besoin, comme vous le savez, de M.  le duc de Choiseul et de M.  l’abbé d’Espagnac[2].

Mais il y a une affaire considérable qui se présente, et dont je ne peux m’ouvrir au sieur Girod. Elle pourrait vous être d’un très-grand avantage. Il faudrait probablement me céder le syndicat, et nommer ainsi un autre syndic du tiers état que le sieur de Bosson. Je demanderais aussi la capitainerie des chasses. Ce sont deux petits préalables de peu de conséquence qui mettront plus de convenance dans l’affaire dont je vous parle.

Il s’agirait, monsieur, d’un arrangement pour le pays de Gex[3], d’un abonnement qu’on ferait avec les fermiers généraux, d’une compagnie qui fournirait aux fermes générales ou au roi une forte somme moyennant laquelle tout le pays serait purgé de quatre-vingts sbires qui le désolent en pure perte ; le sel et le tabac seraient libres. Il y a longtemps qu’on propose un arrangement ; mais celui qu’on a présenté en dernier lieu ne me paraît avantageux pour personne. On a proposé une taxe, une espèce de capitation sur chaque individu, homme ou bétail, pour racheter chaque année des fermes générales la liberté du pays. C’est là une autre sorte d’esclavage qu’on propose pour être libre, et un nouvel appauvrissement pour être à son aise. Je vois bien qu’on ne prend ce parti que parce qu’on manque d’argent pour faire tout d’un coup une grande et bonne affaire. On trouvera de l’argent, et il ne faut pas manquer cette occasion. Vous dites sans doute, monsieur, en lisant ceci : Quel rapport cela peut-il avoir à la vente de Tournay ? Celui de placer votre argent à dix pour cent à jamais, en faisant du bien à la province.

Il sera très-convenable que je sois syndic pour accélérer la consommation de cette affaire. Ce que je crains et ce que je déteste plus que jamais à mon âge, ce sont les longueurs. Si la chose réussit, je m’engage à vous payer une rente de dix pour cent pour la vente de Tournay, et de cinq pour cent de toutes les autres possessions que vous avez dans le pays sur les prix des baux. Tout cela doit être fait ou manqué avant Pâques ; mais, si la proposition n’est pas acceptée, la vente de Tournay subsistera toujours. Vous jugez bien, monsieur, qu’en vous donnant dix pour cent, vous n’aurez aucune somme comptant en signant le contrat ; ce ne serait pas votre avantage. Les 110,000 livres, prix de Tournay, seront placées dans la somme donnée au roi par la province, et les arrérages vous seront payés sur le pied du denier dix, du produit de ces avances faites au roi, et j’en répondrai. Il faut donc que ces deux affaires marchent ensemble.

Je ne doute pas que monsieur l’intendant de Bourgogne n’appuie la proposition de ces avances, système de tout point préférable à tous les autres. J’aurai l’honneur de vous envoyer le plan rédigé. Votre approbation sera d’un grand poids, et c’est à cette approbation et à vos soins officieux qu’on en devra le succès. Je ne crois pas que monsieur l’intendant revienne sitôt, mais votre influence s’étendra aisément de Dijon à Paris. Vous allez dire : Voilà un homme qui veut être libre aux Délices, et maître à Gex. Oui ; mais maître pour faire du bien, et maître sous vos ordres. V,

La compagnie trouve bon que je m’adresse à vous et vous demande le secret.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Chef du conseil du comte de La Marche.
  3. Voyez la lettre à Mme  d’Épinai n° 4040.