Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4026

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 282-283).

4026. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 15 janvier 1760, en réponse à la lettre dont
Votre Altesse sérénissime m’honore, du 13 janvier.

Madame, pourquoi n’y suis-je pas ? Pourquoi ne suis-je pas le témoin des plaisirs et des talents de votre illustre famille ? Votre Altesse sérénissime fait en tout temps mes regrets.

Madame la princesse votre fille se fait donc Américaine[2] ? Le prince aîné est Zamore ! Il faut, en vérité, aller dans un nouveau monde pour avoir du plaisir par le temps qui court. Je vois la grande maîtresse des cœurs qui leur donne des leçons : car il me semble que je l’ai entendue très-bien réciter, et mieux sans doute que le maître de langue, quel qu’il soit. Nous n’avons ici, madame, dans la ville de Jean Calvin, aucun dessinateur capable de dessiner un habit de théâtre, pas même un surplis ; mais je vais y suppléer. Une espèce d’habit à la romaine pour Zamore et ses suivants, le corselet orné d’un soleil, et des plumes pendantes aux lambrequins ; un petit casque garni de plumes, qui ne soit pas un casque ordinaire. Votre goût, madame, arrangera tout cet ajustement en peu d’heures.

Si on peut avoir pour Alzire une jupe garnie de plumes par devant, une mante qui descende des épaules et qui traîne, la coiffure en cheveux, des poinçons de diamant dans les boucles, voilà la toilette finie. Pour Alvarès et son fils, le mieux serait l’ancien habit à l’espagnole, la veste courte et serrée, la golile, le manteau noir doublé de satin couleur de feu, les bas couleur de feu, le plumet de même. Montèze, vêtu comme les Américains. Voilà, madame, tout ce que votre tailleur peut dire ; mais, en qualité d’auteur, Votre Altesse sérénissime est bien convaincue que je voudrais être le maître de langue.

J’ignore quel est le bel homme qui s’est donné pour le médecin Tronchin ; le véritable est encore à Genève, et peut-être n’en sortira pas. Pour Mlle  Pertriset, j’ai eu l’honneur de lui écrire, madame, et de lui envoyer le compte qu’on m’a remis pour le banquier[3] que Votre Altesse sérénissime protège. Je me flatte qu’elle m’aura mis aux pieds de Votre Altesse sérénissime, et de toute votre auguste maison.

Freytag doit être bien étonné d’être trépassé d’une mort naturelle. Hier il vint chez moi un Prussien, fils du général Brédau. Je lui demandai des nouvelles de tous ceux que j’avais vus chez le roi ; madame, il n’y en a pas un en vie. Ô monde, que tu es néant !

Daignez, madame, agréer les profonds respects de V.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Elle allait jouer Alzire.
  3. Il s’agit d’une réponse de Choiseul à Frédéric II.