Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4044

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 297-299).
4044. — À M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
8 février, aux Délices.

Monsieur, 1° il doit vous importer fort peu, ainsi qu’au parlement, qui paye les frais du beau procès de Panchaud, Sa Majesté ou moi. Ainsi, permettez que je vous recommande mon bon droit, comme Agnelet[2]. J’ai eu beau demander, chercher un titre, un exemple qui prouvât que la justice de Tournay s’étend sur le fief de Genève où est située la cabane près de laquelle on a volé des noix et donné un coup de sabre, je n’ai eu nul éclaircissement. Je présente requête au parlement pour qu’il soit ordonné aux juges de Gex de faire apparoir comme quoi la justice appartient à Tournay ; et faute de ce, le procès fait à Panchaud sera aux frais de Sa Majesté : je ne vois rien de plus juste.

Je vous supplie donc, monsieur, de faire donner au procureur qu’il vous plaira cette mienne requête. Je vous serai très-obligé de cette bonté. Il faut secourir les gens en détresse.

2° Un point plus important est l’objet de délivrer la province, grande comme une épître de Lacédémonien, de douze brigades d’alguazils qui la dévastent sans que nosseigneurs les fermiers généraux tirent un sou de ces déprédations.

Un fermier général va venir pour traiter avec la province ; la province avec la compagnie. Vos cent dix mille livres serviront à libérer le pays, et vous produiront dix pour cent.

3° Une aventure de sbires contribue à la libération de la province ; la voici : le pain manquant aux Délices, nous faisons venir de Ferney vingt-quatre coupes de blé (car du blé à Tournay ! néant, grâce à l’administration de Chouet, qui meurt ivre et ruiné). Nous accompagnons nos voitures de Ferney d’un billet d’avis et de la permission du bacha de la province ; trois domestiques sont envoyés, l’un pour endosser la patente du bacha, les deux autres pour témoins. On nous saisit notre blé, nos équipages. Grandes plaintes, mémoires au contrôleur général, à messeigneurs les fermiers généraux, à Sa Majesté monsieur l’intendant ; procès, écritures ; enfin le contrôleur du bureau vient déclarer et signer aux Délices que les employés sont des fripons, et qu’il les désavoue ; et le lendemain, le receveur vient déclarer et signer qu’ils ont fait un faux procès-verbal, et qu’ils l’ont antidaté. Leurs aveux, et copies figurées, envoyées vite en haut, comme disent les petits, et si haut même que copie en parvient à l’assemblée de nosseigneurs les fermiers généraux, le tout suivi de remontrances contre l’armée qu’ils entretiennent au pays de Gex et contre l’infernale administration de ce malheureux pays. Or, monsieur, je vous demande sur tout cela votre protection immédiate.

4° Qu’est devenue votre Sallusterie ? Les discours de Gordon en français viennent de paraître[3]. Il y a deux chapitres contre la monarchie papale et contre la monarchie jésuitique, qui ne sont pas à l’eau rose.

Ces Anglais pensent comme ils se battent. O noi poverini becchi, futuli Francesi !

Mille respects. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Dans la comédie de l’Avocat Patelin.
  3. Discours historiques et politiques sur Salluste, de Thomas Gordon, traduits par le pasteur calviniste P. Daudé. 1759, 2 vol. in-12.