Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4045

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 299-300).

4045. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 9 février.

Madame, que ne dois-je point à la coquette infidèle[2] et à Alzire ! Elles m’ont valu, de la part de Votre Altesse sérénissime, des lettres dont je fais plus de cas que de la coquetterie et des tragédies. Je m’imagine que votre auguste et charmante famille a fait bien de l’honneur à l’Amérique. Il faut donc à présent chercher son plaisir dans un nouveau monde ; l’ancien ne fournit aujourd’hui que des spectacles d’horreur trop vrais et trop réels pour s’en amuser.

Il est bien singulier que les Poésies du philosophe de Sans-Souci paraissent précisément dans ce temps-ci. Je ne sais pas comment les ministres de la confession d’Augsbourg et ceux de Genève prendront une certaine épître au maréchal Keith, dans laquelle le roi philosophe assure que l’âme est très-mortelle, et ces petits vers :


Allez, lâches chrétiens, etc.


Cependant le roi de Prusse ne paraît pas être à la tête d’une armée d’épicuriens ; il paraît plutôt suivi de soldats stoïciens, tant il les a accoutumés à braver les peines de cette vie, apparemment dans l’espérance d’une meilleure. Quoi qu’il en soit, il faut absolument avoir cent mille braves gens à son service quand on écrit de telles choses. Le roi de Prusse est hardi l’épée et la plume à la main. Mais comment finira tout ceci ? Vaincra-t-il tous ses ennemis, et Autrichiens, et Russes, et théologiens ? Maupertuis aurait résolu ce problème, car il prétendait qu’on pouvait prédire l’avenir en exaltant son âme. Il a apparemment laissé son secret aux deux capucins entre lesquels il est mort à Bâle.

Madame, je n’exalte point mon âme ; mais je la sens très-tourmentée de la douleur de n’être pas à vos pieds.

L’espérance console ce pauvre Suisse V.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Frédéric II.