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Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4063

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 321-322).

4063. — À M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
5 mars 1760.

Je prends votre lettre à rebours, monsieur ; je commence par avoir l’honneur de vous dire que les négligents Cramer ne m’ont envoyé aucun in-12, ni sur les mœurs antiques, ni sur les mœurs modernes[2]. Vos ordres pour M. Jalabert vont être exécutés.

On a mis dans un caveau de Pierre-Encise un certain Bonneville, confident du poëte roi, lequel apportait de Berlin en France de la prose un peu plus désagréable que ses vers.

La compagnie de la rédemption des captifs de Gex est toujours prête. Nous aurons sur la fin de la semaine un député des Soixante[3], avec lequel on pourra traiter. Je traite, moi, pendant ce temps-là, directement avec monseigneur le comte de La Marche, pour une somme fixe, des lods et ventes de votre Tournay, afin que son conseil ne me persécute pas, comme il me persécute encore pour Ferney. Je lui dis respectueusement : En voulez-vous, n’en voulez-vous pas ?

Je me propose de faire écrire par la province à M. d’Annecy, pour qu’il lui plaise ne point damner ceux qui ont soin de leurs affaires le jour de Simon et de Jude, attendu qu’il vaut beaucoup mieux cultiver une mauvaise terre après la sainte messe que d’aller boire de mauvais vin à ce maudit cabaret de la Perrière. Nos restes de barbarie me déplaisent souverainement ; c’est ce qui fait que je me tiens aux Délices, parce qu’ailleurs je jure contre tout ce qui se passe.

En remontant article par article, je vous remercie du procureur Finot, et j’en profite ; je crierai comme un diable jusqu’à ce que j’aie quelque preuve de ma prétendue haute-justice de b…[4] ; je ne veux point être le haut-justicier malgré lui.

L’affaire des brigands du bureau de Saconex est finie, grâce au ciel et à monsieur l’intendant ; j’en ai remercié beaucoup ce dernier. Les fermiers généraux ont destitué le receveur et le contrôleur, et ils m’ont écrit que c’était par amitié pour moi ; je n’en crois rien du tout. On dispute en physique s’il y a des corps durs ; moi, je tiens qu’il n’y a rien de si dur qu’un corps politique et financier. Si le corps des financiers ne casse pas le corps de la brigade de Saconex, je lui ferai un petit procès criminel comme à des faussaires qui ont antidaté leur grimoire-verbal, et j’aurai l’honneur de vous les donner à pendre pour vous amuser. J’étais dans la plus grande règle du monde avec ces coquins-là ; mes voitures s’étaient arrêtées au bureau, selon mes ordres ; tout était dans la meilleure forme du monde. Tout est prouvé ; le crime de faux est prouvé aussi, et vous aurez sûrement la charité de les faire pendre pour l’édification publique.

Je suis de votre avis, monsieur : ubicumque calculum ponas, ibi naufragium invenies ; mais je vous avertis que, si je ne suis pas parfaitement libre, je me jetterai la tête la première dans le lac.

Puisqu’il y a encore place dans ce chiffon, sachez que l’armée du poëte roi est plus brillante que jamais. Celle du prince Ferdinand attend 15,000 Anglais pour négocier à coups de canon la retraite des Francs en deçà du Rhin.

Mille respects, reconnaissance et attachement. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Le traité du Culte des dieux fétiches venait de paraître à Genève, et de Brosses avait chargé les Cramer d’en envoyer un exemplaire aux Délices.
  3. Les soixante fermiers généraux.
  4. Le mot est eu toutes lettres dans l’autographe. (Note du premier éditeur.)