Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4091

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 348-349).

4091. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 12 avril.

Madame, si j’ai passé trop de temps sans avoir le bonheur de vous écrire, si j’ai été malade, si je languis, ce n’est pas la cousine de Mlle de Pertriset qui en est cause ; je suis dans un âge où les passions ne font pas tourner la tête. Votre Altesse sérénissime daignait s’intéresser à ce mariage ; mais la dot est bien difficile à trouver. L’oncle[2], qui n’entend pas raillerie, et qui fait toujours de bonnes affaires, conclura peut-être le marché ; et ce sera le Mariage forcé.

Je ne doute pas que madame n’ait été contente de ses Américains et de ses Américaines. Quand on voit tant de malheurs et tant de cruelles folies en Europe, il n’est pas mal de faire un petit voyage au Pérou. J’ai peur que le voisinage de Votre Altesse sérénissime ne soit inondé de troupes cette année ; mais elle est accoutumée à voir les orages et à les dissiper. Quand je vis les premières tempêtes se former, je crus qu’il y en avait là pour cinq ou six ans ; Dieu veuille que je me sois trompé ! On paraît épuisé à la fin d’une campagne, et on recommence encore sur nouveaux frais ; on dit : Ce sera la dernière, et cette dernière en amène encore une autre, et les malheurs du genre humain ne finissent point. Le roi de Prusse fait toujours des vers et des revues. Je ne sais comment la petite-fille[3] d’Ernest le Pieux aura pris la lettre au maréchal de Keith. Si le philosophe de Sans-Souci est battu, il sera excommunié.

Conservez, madame, votre sage et heureuse tranquillité d’esprit au milieu de toutes les secousses qui vous environnent ; soyez aussi heureuse que vous devez l’être ; que la grande maîtresse des cœurs jouisse d’une santé bien affermie ; que votre auguste famille croisse sous vos yeux en grâces, en talents et en mérite. Je me mets à vos pieds et à ceux de monseigneur. Je renouvelle à Votre Altesse sérénissime le profond respect et l’attachement du Suisse V.

  1. Éditeurs, Baveux et François.
  2. Sans doute l’Anglais.
  3. La duchesse elle-même.