Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4123

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 389).

4123. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
16 mai.

Un Gasparini[1], mon divin ange, doit demander ou avoir demandé votre protection pour débuter, pour être reçu, ou pour être souffert à l’essai. Il est bon dans les rôles à manteau, dans certains rôles de père ; et je vous assure qu’il fit mourir de rire dans le rôle de M.  Duru[2], quoi qu’en dise le grand Fréron mon ami.

Je reçois vingt lettres de connus, d’inconnus, qui tous s’adressent à moi pour que je sois le réparateur des torts, pour que je venge le public de l’infamie du théâtre. Je m’en garderai bien ; je n’ai que trop fait le don Quichotte. Que les intéressés pourvoient à leurs affaires.

Je vous accable de lettres, pardon ; mais, puisque m’y voilà, vous saurez que j’ai relu Tancrède ; elle finissait languissamment. Que dites-vous des fureurs d’Oreste ? déclamation, et puis c’est tout. Mais fureurs de femme, fureurs mêlées de tendresse, rage contre les chevaliers, emportements contre son père, larmes sur le corps de son amant, évanouissement, retour à la vie, transports, désespoir aux yeux de ceux qui ont fait ses malheurs : si cela n’est pas théâtral, si cela n’est pas déchirant, je suis un grand sot.

Patience ; la Chevalerie a quelque chose de bien neuf, en dépit de l’envie, et Mme  Scaliger sera contente ; et je baise le bout de vos ailes plus que jamais. Ainsi fait Clairon-Denis.

  1. Gasparini débuta, le 8 juin 1760, par le rôle d’Ésope dans Ésope à la Foire, puis joua quelques autres rôles, mais ne fut point admis.
  2. Personnage de la Femme qui a raison.