Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4123
Un Gasparini[1], mon divin ange, doit demander ou avoir demandé votre protection pour débuter, pour être reçu, ou pour être souffert à l’essai. Il est bon dans les rôles à manteau, dans certains rôles de père ; et je vous assure qu’il fit mourir de rire dans le rôle de M. Duru[2], quoi qu’en dise le grand Fréron mon ami.
Je reçois vingt lettres de connus, d’inconnus, qui tous s’adressent à moi pour que je sois le réparateur des torts, pour que je venge le public de l’infamie du théâtre. Je m’en garderai bien ; je n’ai que trop fait le don Quichotte. Que les intéressés pourvoient à leurs affaires.
Je vous accable de lettres, pardon ; mais, puisque m’y voilà, vous saurez que j’ai relu Tancrède ; elle finissait languissamment. Que dites-vous des fureurs d’Oreste ? déclamation, et puis c’est tout. Mais fureurs de femme, fureurs mêlées de tendresse, rage contre les chevaliers, emportements contre son père, larmes sur le corps de son amant, évanouissement, retour à la vie, transports, désespoir aux yeux de ceux qui ont fait ses malheurs : si cela n’est pas théâtral, si cela n’est pas déchirant, je suis un grand sot.
Patience ; la Chevalerie a quelque chose de bien neuf, en dépit de l’envie, et Mme Scaliger sera contente ; et je baise le bout de vos ailes plus que jamais. Ainsi fait Clairon-Denis.