Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4130

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 393-394).

4130. — DE PIRON À BACULARD D’ARNAUD[1].
20 mai 1760.

Je vous rends grâces, monsieur, de votre attention, et de m’avoir fait lire l’Écossaise, que je vous renvoie. Il s’en faut bien que j’en pense tout le bien qu’on m’en avait dit. Le suffrage universel part sans doute du même principe que le grand cours dont est honorée la pièce du jour. Des chiens se houspillent dans la rue : tous les badauds mettent la tête aux fenêtres, les animent, les harcèlent, et, quand le combat est fini, se retirent et n’y songent plus, pendant que les combattants s’en vont léchant leurs plaies.

Fréron a ici les oreilles horriblement déchirées : de quoi cela guérit-il ? Il n’en va déchirer qu’à plus belles dents. Les sots recommenceront de s’en amuser, sans que, dans tout cela, les honnêtes gens trouvent le mot pour rire. Du vinaigre et de la moutarde partout, du sel nulle part. Pourquoi, par exemple, avoir fait de ce pauvre diable de Fréron un pendard formidable : il n’y a là que du faux et de l’outré, et rien de plaisant. Fréron ne cherche à ôter la vie à personne ; il cherche la sienne, et c’est tout, mais cela n’a jamais fait tort à qui que ce soit, ni n’en saurait faire ; ce n’est nullement un pendard, encore moins un pendard formidable. Qu’il laboure et soit bien payé, qu’il rie et fasse quelquefois rire ; qu’il ait du pain, et moi du bon temps : voilà, pour mon compte, tout ce que j’en pense, et tout ce que, pour le leur, devraient penser les bonnes gens qu’il morsille. Voltaire n’a-t-il point honte de se mettre en frais d’une comédie de cinq actes pour tomber sur le corpuscule de son petit adversaire ? Hercule, lever sa massue le plus haut qu’il peut sur la tête du Pygmée. Il est écrasé : le beau fait d’armes ! Le beau treizième par-dessus les douze travaux ! Vive ma première épigranime !


La pauvre espèce, en champ clos, qu’un Zoïle !
Rien n’est si plat, ni moins franc du collier.
Dans la mêlée, il tranche de l’Achille ;
Et c’est Thersite, en combat singulier.
Par passe-temps, jadis bon chevalier,
Je voulus bien désarçonner le maître :
C’est de mon fait ; mais fesser l’écolier,
C’est fait de cuistre, et je ne veux point l’être.

  1. L’Amateur d’autographes, année 1868, page 48.