Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4131

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 394-395).

4131. — À M.  LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
À Tournay, par Genève, 20 mai.

Si vous avez eu mal à la jambe, mon cher marquis, votre tête et votre cœur vont très-bien. Votre lettre m’a enchanté ; tout ce que vous dites est vrai, hors les louanges dont vous m’honorez, la fin surtout de cette Chevalerie étant fort languissante. Figurez-vous que cela avait été imaginé, fait, et envoyé en trois semaines. Les jeunes gens sont toujours un peu trop vifs ; mais on fait ensuite des retours sur soi-même. J’ai l’impudence de penser que Mlle  Clairon ne serait pas mécontente de la dernière scène. Oreste a des fureurs tout seul ; mais des fureurs auprès de son amant qui expire, aux yeux d’un père qui est cause en partie de tant de malheurs, aux yeux de ceux qui avaient proscrit l’amant et condamné à mort la maîtresse ; des fureurs mêlées de l’excès de l’amour ; mais embrasser son amant qui meurt pour elle, mais repousser son père et lui demander pardon, et tomber dans les convulsions du désespoir : si cela n’est point fait pour le jeu de Mlle  Clairon, j’ai tort.

Je crois qu’en tout le rogaton de la Chevalerie est moins mauvais que le rogaton de Mèdime ; mais c’est à ceux qui me gouvernent à régler les rangs et l’ordre des sifflets. Je n’ai point fait les Quand[1] ; mais il me prend envie de les avoir faits. Il n’y a qu’à rire de tout ce qui se passe ; les philosophes surtout doivent rire, s’ils sont sages. On m’envoie de Paris les pauvretés[2] ci-jointes ; on les dit de Robbé ; en ce cas Robbé est un sage, car il rit. La guerre des auteurs est celle des rats et des grenouilles ; cela ne fait de mal à personne. Jansénistes, molinistes, convulsionnaires ; Jean-Jacques voulant qu’on mange du gland ; Palissot monté sur Jean-Jacques allant à quatre pattes ; maître Joly de Fleury braillant des absurdités, les chambres assemblées : tout cela empêche qu’on ne soit trop occupé des désastres de nos armées, et de nos flottes, et de nos finances. Il faut vivre en riant et mourir en riant ; voilà mon avis, et la façon dont j’en use. Les Délices rient et vous embrassent.

N. B. On me reproche d’être comte de Ferney[3] ; que ces jean-f…-là viennent donc dans la terre de Ferney, je les mettrai au pilori. N’allez pas vous aviser de m’écrire à monsieur le comte, comme fait Luc[4] ; mais écrivez à Voltaire, gentilhomme ordinaire du roi, titre dont je fais cas, titre que le roi m’a conservé avec les fonctions : car, pardieu ! ce qu’on ne sait pas, c’est que le roi a de la bonté pour moi, c’est que je suis très-bien auprès de Mme  de Pompadour et de M.  le duc de Choiseul, et que je ne crains rien, et que je me f… de … et de … et de …, ainsi que de Chaumeix, et que je leur donnerai sur les oreilles dans l’occasion. Pourtant brûlez ma lettre, et gardez le secret à qui vous aime.

  1. Voyez tome XXIV, page 111.
  2. Sans doute quelques-unes des pompignonades en prose qui sont dans les
  3. Voyez les signatures des lettres 4028 et 4029.
  4. Voyez ci-dessus, la lettre 4112.