Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4150

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 417-418).

4150. — À MADAME D’ÉPINAI.
13 juin.

Ma belle et respectable philosophe, vous avez un grand défaut, vous êtes comme tous les Parisiens et toutes les Parisiennes de ma connaissance ; ils ne manquent pas de m’écrire : Vous savez sans doute ; vous avez lu ; que dites-vous de ce Mèmoire ? Eh ! non, messieurs, je n’ai rien lu. Tout le monde me parle du Mémoire[1] de M.  Lefranc de Pompignan, et personne ne me l’envoie ; au reste, il se peut fort bien faire que le dévot Lefranc de Pompignan ait été interdit pour avoir donné ou mérité des soufflets ; mais le fait est que le pédant chancelier d’Aguesseau lui refusa, de ma connaissance, les provisions de sa charge pendant six mois, en 1739, pour avoir mal traduit la Prière du Déiste[2] ; je le servis dans cette affaire, et il m’en a récompensé dans son beau discours à l’Académie.

La Vision[3] m’a fait une peine extrême ; c’est le comble de l’indécence et de l’imprudence d’avoir mêlé Mme  la princesse de Robecq dans cette querelle. Il est affreux d’avoir insulté une mourante ; cela irrite contre les philosophes, les fait passer pour des fous et des cœurs mal faits ; cela justifie Palissot, cela fait mettre Robin en prison, cela inquiète le Prophète de Bohême, cela achève de perdre le pauvre Diderot, qui a trouvé le secret de renverser le plus bel édifice du monde pour y avoir mis une douzaine de pierres mal taillées, qui ne s’accordent pas avec le reste du bâtiment.

Vous me feriez un très-grand plaisir, madame, de m’envoyer en détail vos réflexions sur l’Écossaise ; je les ferais passer à mon ami M.  Hume, digne prêtre qui ne manquerait pas d’en profiter, et qui vous aurait une extrême obligation. Je vous envoie le Plaidoyer de Ramponeau, à condition que vous aurez la bonté de me faire tenir, par qui il vous plaira, le Mémoire du grave président.

Vous me faites prendre, madame, un vif intérêt à madame votre mère[4] ; je reconnais votre cœur ; il n’y a que votre esprit que je lui compare. Adieu, madame ; si vous me faites le plaisir d’être un peu exacte, instruisez-moi de la demeure[5] du Prophète de Bohême : je ne m’en souviens plus ; mais je me souviendrai toute ma vie de lui.

Je crois qu’il serait à propos que les Que et le Ramponeau parussent. On a besoin de plaisanterie : c’est un remède sûr contre la maladie épidémique qui trouble si tristement tant de cerveaux.

  1. Voyez les notes, tome XXIV, pages 112 et 131.
  2. Voyez la note, tome XXIV, page 112.
  3. Voyez ci-dessus, page 412.
  4. Mme  d’Esclavelles.
  5. Grimm demeurait alors dans la rue Neuve-de-Luxembourg.