Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4158

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 427-428).

4158. — À MADAME BELOT[1].
Aux Délices, 20 juin.

Je réponds si tard à votre lettre, madame, que vous êtes en droit de me croire coupable de la belle intelligence que vous me supposez avec M.  Palissot de Montenoy ; je suis cependant très-innocent. Il m’a même outragé dans sa préface ou post-face, en prétendant que je vaux mieux que ceux qu’il offense. Je serais digne de marcher à quatre pattes si je ne sentais pas toute la supériorité des lumières et des profondes connaissances de MM.  d’Alembert et Diderot ; je les regarde comme les premiers hommes du siècle. Jamais M.  Palissot ne m’a envoyé son manuscrit : j’aurais fait l’impossible pour l’empêcher d’être l’Aristophane des Socrates. Il m’a envoyé l’ouvrage imprimé, et je lui ai répondu les mêmes choses que je vous écris. Le style de la pièce est bon ; mais le sujet de la pièce est horrible ; il représente les plus honnêtes gens du monde enseignant à voler dans la poche. Voilà précisément ce que je lui ai mandé.

Oui, madame, la maison en question est très-près des Délices ; mais vous en êtes bien loin. Je n’ai pas plus de foi aux dames qui disent qu’elles quitteront Paris qu’à celles qui prétendent quitter l’amour. On ne peut venir dans l’enceinte de nos montagnes que par un coup de la grâce ; je suis converti ; mais je ne me flatte pas de faire des conversions. Il faut avoir furieusement compté avec soi-même pour se vouer à la retraite. Tout ce que je peux faire, madame, c’est de prier Dieu pour vous. Puisse-t-il vous inspirer autant de haine pour les sottises de Paris que vous m’inspirez d’estime pour votre mérite !

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.